Jonas Kaufmann (Parsifal) et les Filles-Fleurs. Photo : Ruth Walz.

Pour son nouveau Parsifal, l’Opéra d’État de Bavière a réuni une équipe qui tient amplement ses promesses et qui fait de ce spectacle un événement majeur de la saison lyrique. Si l’on peut émettre des réserves sur l’aspect visuel, la dimension musicale de la représentation se situe à un niveau tout à fait exceptionnel, en premier lieu grâce à la direction inspirée de Kirill Petrenko. Chef très élégant dans ses gestes et d’une grande clarté dans ses indications, il sait bien doser ses effets, réaliser de magnifiques crescendos, traduire avec éloquence la spiritualité des passages intérieurs et atteindre le paroxysme du dramatisme. Le prélude du troisième acte est à cet égard éloquent : rarement aura-t-on traduit de façon aussi évidente l’errance désespérée. Quant au passage orchestral précédant la dernière scène, il atteint à une intensité quasi insoutenable.

La distribution, qui a fait accourir de nombreux passionnés d’art lyrique dans la capitale bavaroise, est de celle qui font l’orgueil des plus grandes maisons d’opéra. Kundry aux moyens vocaux prodigieux, Nina Stemme semble se moquer des écueils d’un rôle dont elle offre un portrait en tout point admirable. Par exemple, au moment où elle révèle à Parsifal l’origine de sa malédiction, il faut l’entendre dans « Ich sah – Ihn – Ihn – und lachte… » Attentive au poids des mots, elle prononce « Ihn » avec quelque chose de déchiré dans la voix. Nullement incommodée par l’intervalle meurtrier sur « lachte », elle enchaîne sur une fin de deuxième acte d’anthologie. En très grande forme lui aussi, Jonas Kaufmann est à son meilleur dans ce deuxième acte, qui met en valeur la beauté sombre de son chant et ses aigus éclatants, et où il est galvanisé par sa partenaire. Son sens exacerbé des nuances se fait parfois au détriment du timbre, mais comment lui en tenir rigueur ? Dans ses débuts en Amfortas, Christian Gerhaher laisse pantois : roi pécheur à la voix par moments désincarnée, quasi lunaire, il exprime de façon troublante la déréliction et la lassitude extrême de tout son être. Dans la grande scène du Graal puis dans le tableau final du troisième acte, il sait aussi faire entendre une puissance insoupçonnée et atteindre sans aucune difficulté les notes les plus aiguës de son rôle. Le Gurnemanz de René Pape est fidèle à sa réputation : voix somptueuse aux couleurs de violoncelle, sens inné de la déclamation et endurance sans faille. Tout au plus peut-on déceler certaines failles dans l’aigu, comme dans « Dein Name denn ? », au premier acte. Entendu deux jours plus tôt en Hollandais volant, Wolfgang Koch est davantage dans son élément en Klingsor, rôle infiniment moins lyrique et réclamant surtout le sens de la déclamation. Outre l’excellent Titurel de Bálint Szabó et de merveilleuses Filles-Fleurs capiteuses à souhait, les chœurs ne contribuent pas peu à l’extraordinaire réussite musicale de la soirée.

Le peintre Georg Baselitz et le metteur en scène Pierre Audi ont imaginé un univers d’où la couleur est totalement absente, sauf lors de l’enchantement du Vendredi saint, plongé dans de violentes teintes violacées. Au premier acte, des conifères étiques et une pyramide de branches (ou de métal, on ne sait trop) forment le décor qui demeure constamment plongé dans une semi-obscurité, même si Amfortas chante la splendeur du jour naissant. Après la cérémonie du Graal, les arbres se disloquent et en viennent à former des squelettes rappelant celui sous lequel se tenait Kundry au début de l’acte. Pour se rendre au temple du Graal, point n’est besoin de se déplacer : Gurnemanz pose sa main devant les yeux de Parsifal, comme pour lui faire comprendre que c’est en lui que se trouve le chemin. Après la communion, les chevaliers retirent leur lourde armure pour arborer une combinaison évoquant une nudité volontairement hideuse. Le deuxième acte se déroule d’abord devant un rideau de scène figurant – en accord avec l’esthétique de Baselitz – des personnages à l’envers. Le château de Klingsor se résume à une toile représentant une muraille schématisée qui se déploie puis se replie sur elle-même lorsque Parsifal anéantit le pouvoir du magicien. Tout comme les chevaliers du Graal, les Filles-Fleurs se dévêtent et font apparaître des seins et des formes féminines outrageuses qui n’ont absolument rien de séduisant, au contraire de Kundry, vêtue d’une élégante robe longue. Au moment de recevoir le baiser, Parsifal s’agenouille devant Kundry et fait penser à un enfant, idée lumineuse montrant bien l’aspect œdipien et initiatique de la scène. Au troisième acte, on retrouve les mêmes éléments scéniques qu’au premier acte, mais inversés. Au dernier tableau, Titurel est déjà enseveli, comme en fait foi le monticule de terre devant lequel se tient Amfortas. Plutôt que de dévoiler à la communauté la dépouille de son père, Amfortas perce sa blessure avec l’extrémité de sa canne en forme de trident. Enfin, le dévoilement du Graal est signifié par un geste d’une merveilleuse simplicité : Parsifal puis les chevaliers posent leurs mains sur leurs yeux, rendant inutile toute forme matérielle de culte. Puis Parsifal s’abîme dans la contemplation d’une source de lumière intense qui finit par l’envahir tout entier. C’est sur cette image envoûtante que s’achève une représentation qui a soulevé l’enthousiasme général du public de Munich.

L. B.

A lire : Parsifal / L’Avant-Scène Opéra n° 213


Christian Gerharer (Amfortas) et Jonas Kaufmann (Parsifal). Photo Wilfried Hösl.