Photo : Palazzetto Bru Zane / Amélie Debray.

Faust, on connaît par cœur… mais celui de l’Opéra, mis à l’affiche en 1869. Sans les dialogues, les mélodrames et certaines pages qui disparurent après la création au Théâtre Lyrique en 1859, voire avant : conformément à l’usage de l’époque, le public ne découvrait pas toujours exactement la partition que le compositeur avait écrite à l’origine. C’est ce Faust d’avant Faust, en quelque sorte, que le festival organisé par le Palazzetto Bru Zane à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Gounod a exhumé aux Champs-Elysées.

Voici par exemple, dans le cabinet de travail, un Trio entre Faust, Siebel et Wagner ; à la Taverne, un duo de Marguerite et Valentin ; puis les Couplets de Maître Scarabée à la place du Veau d’or. Au jardin, avant le duo d’amour, l’orchestre seul prend en charge l’invocation à la nuit. Dans la chambre de Marguerite, Siebel chante « Versez vos chagrins dans mon âme » et non pas « Si le bonheur à sourire t’invite », avant que Valentin se mêle aux soldats pour des Couplets que remplacera le célébrissime chœur. La physionomie de la Nuit de Walpurgis change aussi. Pour ne rien dire des modifications de détail. Heureuse initiative, passionnante comparaison. Est-ce mieux ou moins bien ? C’est différent. L’abondance des dialogues rapproche l’œuvre de l’opéra-comique, d’autant plus que la tonalité en est volontiers légère, avec une Dame Marthe plus chargée et un Méphisto plus ironique que vraiment satanique. La partition, quoi qu’il en soit, a ainsi une cohérence qu’on a enfin pu apprécier : si les lecteurs de L’Avant-Scène Opéra savaient déjà tout grâce à Gérard Condé, Michel Plasson, en appendice de son Faust, n’avait gravé que les trois numéros du premier acte.

Le plaisir de la découverte, néanmoins, aurait pu être plus intense : l’exécution musicale n’est pas sans défaut. Les instruments d’époque des Talens lyriques et la direction de Christophe Rousset renouvellent-ils les sonorités de l’œuvre, quitte « à déranger les puristes épris de tradition », comme l’écrit dans le programme Alexandre Dratwicki, l’éminent directeur scientifique du Palazzetto ? Ils nous laissent plutôt sceptique. Tout cela ne sonne pas toujours très juste ni très bien, le chef a tendance, emporté par son enthousiasme, à confondre théâtralité et brutalité – la valse est pure raideur, vitesse et précipitation – le début de la kermesse souffre de décalages avec l’excellent Chœur de la Radio flamande. Heureusement, il peut aussi créer ici ou là de jolis climats.

Remplaçant Jean-François Borras, Benjamin Bernheim donne une leçon de style français, par la clarté de l’articulation, l’élégance de la ligne, la souplesse de l’émission – avec un parfait dosage de la voix mixte : un Faust jeune et noble, qui pourrait seulement davantage creuser le mot. C’est là, justement, que Véronique Gens nous séduit, incomparable diseuse, dont la Chanson du roi de Thulé et la Scène du rouet sont d’anthologie. Cela compense, chez cette Marguerite à l’innocence jamais mièvre, la modestie de la voix à partir du bas-médium et la dureté des aigus – qu’elle omet parfois pour plus de confort. Le style français s’incarne aussi en Jean-Sébastien Bou (Valentin), même privé du « Avant de quitter ces lieux » ajouté pour Covent Garden : un vrai soldat, fier et racé jusque dans la mort, à la voix aussi sûre que l’épée, à l’aigu insolent. Andrew Foster-Williams, en revanche, possède-t-il vraiment les moyens du diable ? La tessiture est courte, surtout du côté du grave, et s’il est bien ce Méphisto persifleur de 1859, à fort accent anglais, il reste en deçà des exigences du rôle, avec une Sérénade terne et fatiguée malgré ses ricanements – c’est un pilier des distributions du Palazzetto, mais on aurait pu ici trouver sans difficulté un chanteur français plus idoine. Impeccable Juliette Mars en Siebel, truculente Dame Marthe d’Ingrid Perruche, Anas Séguin assurant en Wagner à la place de Jérôme Boutillier.

Impression un peu mitigée, donc. Gageons que le disque corrigera les défauts d’un concert unique en son genre.

D.V.M.

A lire : notre édition de Faust / L’Avant-Scène Opéra n° 231