Photos : Yves Renaud.

Véritable gageure musicale, Svadba (Mariage) d’Ana Sokolović est un opéra de chambre a cappella d’une durée de 55 minutes composé pour six voix de femmes et quelques rares interventions de percussions. Chantée en serbe, langue maternelle de la compositrice, l’œuvre fait irrésistiblement penser à Noces de Stravinsky, dont elle pourrait constituer le prologue : avec cinq amies, Milica vit ses derniers moments de jeune fille, car elle se prépare à son mariage qui aura lieu le lendemain. Entremêlant leurs voix de façon envoûtante et quasi hypnotisante, les six amies se montrent tantôt fébriles, tantôt espiègles, puis deviennent méditatives et nostalgiques à l’approche du rite de passage, c’est-à-dire au moment du bain, de l’habillement et des adieux. Lors de la dernière scène, Milica se voit confier son seul solo, un air d’une beauté poignante où elle prend congé de ses compagnes.

Délaissant l’immense vaisseau de la salle Wilfrid-Pelletier, l’Opéra de Montréal se produit pour la première fois à L’Espace Go, boulevard Saint-Laurent. D’une jauge d’à peu près 300 places, la petite salle convient bien à un opéra intimiste... à condition de s’en tenir à un faible niveau de décibels. Très acceptable pendant les six premières scènes, l’acoustique se révèle déficiente lorsque les interprètes chantent à pleins poumons, dans la dernière scène. Il faudra penser à ce problème de saturation sonore avant de songer à programmer un autre ouvrage lyrique dans ce théâtre.

Cela dit, tout est admirable dans cette production, à commencer par la merveilleuse Milica de Myriam Leblanc, soprano d’une grande souplesse vocale, au timbre superbe et au jeu parfaitement en situation. À cette belle artiste (dont on attend avec impatience la Gilda à Montréal en septembre prochain) se joignent Suzanne Rigden, Chelsea Rus, Rose Naggar-Tremblay, Caroline Gélinas et Rachèle Tremblay, toutes anciennes ou actuelles stagiaires de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal et qui forment une équipe d’une rare homogénéité. De même qu’à la création, en juin 2011 au Berkeley Street Theatre de Toronto, Dáirine Ní Mheadhra assure la direction musicale d’un ouvrage qui ne semble receler pour elle aucun mystère. La mise en scène de Martine Beaulne, d’un dépouillement qui vise à l’essentiel, sait traduire visuellement la dimension rituelle de gestes d’une grande simplicité. Après Toronto, Belgrade (2012), Dublin (2012), Aix-en-Provence (2015), San Francisco (2015) et Perm (2017), c’est justice que cet opéra marquant ait enfin reçu sa création dans la ville d’adoption d’Ana Sokolović.

L.B.