Dans cette nouvelle coproduction lyonnaise avec l’Opéra d’Oslo, le regard plein d’ironie que Stefan Herheim jette sur La Cenerentola tourne souvent au jeu de massacre. En font particulièrement les frais tous les aspects sentimentaux de la comédie et les numéros sérias comme le duo de la rencontre, le grand air de Ramiro ou le rondo final, qui en sortent laminés, ayant perdu dans ce traitement toute forme de poésie. À l’instar de Laurent Pelly dans son Barbier de Séville, c’est la mécanique musicale rossinienne que le metteur en scène semble avoir voulu mettre en évidence. Il y réussit certes à la perfection dans des ensembles remarquablement animés, comme celui du « nodo aviluppato » où les solistes prennent tour à tour la main, symbolisée par la plume du compositeur dont la figure (âgée) est omniprésente sur le plateau, incarnée par Don Magnifico, tantôt maestro concertatore de l’action, tantôt deus ex machina (Dieu le Père sur son nuage dans l’air d’Alidoro) ou encore observateur ironique de son propre opéra à travers les métamorphoses multiples du chœur masculin. L’utilisation virtuose d’un double décor (la demeure de Magnifico et son revers, un emboîtage gigogne de cheminées Empire pour le palais princier) et de ses transformations est également à porter au crédit du metteur en scène, ainsi que cette façon intéressante mais parfois envahissante de nourrir l’histoire un peu simplette d’arrière-plans ambigus et de sous-entendus où se sentent en permanence les excès de la dramaturgie à l’allemande – ainsi du triomphe final d’Angelina dont la bonté se double d’un autoritarisme brutal où reparaît la technicienne de surface du début de l’opéra, semblant démentir par son comportement le panégyrique du rondo. La lecture oscille donc en permanence entre complexité et dérision, parfois avec une certaine lourdeur dans l’humour qui n’aurait pas déparé le travail d’un Jérôme Savary et une tendance à surcharger le propos de gags exogènes et racoleurs, comme ces vidéos du premier acte qui parasitent l’écoute. Paradoxalement les numéros comiques, comme le fameux duo bouffe du « segreto d’importanza », passent sans faire mouche ni même faire sourire. Le résultat, allié à quelques limites chez les protagonistes et à une direction dont les tempi excessivement lents dans les numéros solistes les handicape, laisse le sentiment que la dimension musicale a été sacrifiée à la réussite théâtrale et au pur divertissement.

Dans le rôle-titre, Michèle Losier surprend agréablement avec des moyens respectables, voire une bravoure incontestable dans son entrée en dame voilée ; mais elle trouve ses limites dans un rondo final aux aigus criés dont les écarts de registre lui échappent. Cyrille Dubois prouve, après son Narciso du Turc en Italie de 2015, ses affinités avec la vocalité rossinienne. S’il lui manque un rien de l’éclat typique des voix latines, sa virtuosité et sa bravoure impressionnent d’un bout à l’autre et il a bien du mérite de triompher de son grand air, vu ce que lui fait subir la mise en scène... Nicolay Borchev est également un chanteur à la technique impeccable mais son baryton au timbre un peu sec n’offre ni toute la rondeur ni la rouerie souhaitables à Dandini. D’évidence, la mise en scène a voulu souligner la méchanceté de Magnifico plus que sa bêtise et l’interprétation de Renato Girolami, souvent forcée sur le plan vocal, s’en ressent. Simone Alberghini donne le meilleur de lui-même dans le redoutable grand air d’Alidoro à la double tessiture. D’excellentes Sœurs complètent ce plateau efficace sans être vraiment idéal tandis que le Chœur masculin de l’Opéra de Lyon, transformé en une multitude de clones ailés du vieux Rossini, se révèle un authentique protagoniste. Au final, l’ensemble, salué par un public enthousiaste, laisse pourtant une impression mitigée dans son mélange détonnant d’intellectualisme et de trivialité. 

A.C.

 

A lire : La Cenerentola / L’Avant-Scène Opéra n° 253.

Photos : Jean-Pierre Maurin.