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Orlin Anastassov (Attila).


Une histoire du théâtre en trois époques

Sous la direction de Stéphane Lissner, le répertoire de La Scala a sensiblement évolué vers la découverte d’œuvres qui n’étaient pas fréquemment programmées sur la plus importante scène nationale italienne. La preuve en est venue en cette année 2011, au cours de laquelle tous les théâtres italiens se sont associés aux célébrations pour le 150e anniversaire de l’unification italienne – en tête l’Opéra de Rome qui a présenté Nabucco sous la direction de Riccardo Muti, le jour même de cet événement, le 17 mars dernier. Or, ces priorités ne font vraisemblablement pas partie des choix artistiques de La Scala qui au cours de cette saison, a présenté un seul opéra de Giuseppe Verdi, Attila, lié aux événements du Risorgimento italien, dernière nouvelle production avant la pause estivale.

La mise en scène du spectacle à été confiée à l’un des plus grands protagonistes du théâtre italien, Gabriele Lavia qui, au cours de sa carrière, s’était déjà confronté à maintes reprises avec la dramaturgie verdienne des « années de galère », de I Lombardi alla prima crociata (Scala, 1984) à Luisa Miller (San Carlo de Naples, 2001), en passant par Giovanna d’Arco (Regio de Parme, 2008). Mais c’est surtout grâce à sa fréquentation des tragédies shakespeariennes que sa présence laissait rêver un spectacle du plus grand intérêt. Il faut avouer que, grossièrement coupés de façon monolithique, les personnages d’Attila laissent peu de place à une lecture novatrice, voire à une analyse psychologique à laquelle il paraissent tous réfractaires. D’ailleurs, Verdi lui-même était intéressé aux effets de mise en scène (la tempête nocturne suivie par le lever du soleil, une longue scène écrite sous l’influence du Désert de Félicien David) et à l’intensité des développements dramatiques. A son tour, Lavia se tourne alors vers la notion de barbarie, incarnée par Attila lui-même, et se demande à quoi elle correspond : le manque de liberté, bien évidemment, mais surtout la destruction des théâtres, lieu de discussions et d’échanges culturels. Habilement soutenue par les magnifiques décors d’Alessandro Camera, cette production retrace l’histoire du spectacle suivant les trois actes de l’opéra, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours : ainsi, le prologue et le premier acte se déroulent parmi les vestiges d’un ancien théâtre romain, le deuxième dans les ruines d’un théâtre à l’italienne, le troisième parmi les décombres d’une salle de cinéma, où l’on peut encore voir les images d’un film en noir et blanc, parmi lesquelles se matérialise Attila lors de son apparition finale. Loin d’être fulgurante, cette conception, soucieuse de respecter l’idée scénique verdienne et ses somptueux tableaux, lui a permis de créer un spectacle traditionnel mais d’un grand raffinement, avec de beaux jeux de lumières (signés par Lavia lui-même avec Marco Filibeck) et des situations dramatiques captivantes.

Mais ce mérite doit être partagé avec la baguette de Nicola Luisotti, directeur musical du San Francisco Opera (qui a coproduit le spectacle), qui faisait ainsi ses débuts sur la scène milanaise. Car Attila, comme tous les opéras de cette période, est une partition d’une grande discontinuité : des pages mémorables, à partir du Prélude initial, alternent avec d’autres parfois bruyantes (le duo entre Odabella et Foresto), où l’on ne retrouve que le goût pour une cabalette enflammée. Or, déjà Luisotti choisit des tempi qui restituent une belle tension dramatique à tout l’opéra : cinglants, haletants même lorsqu’il faut donner le feu aux poudres, mais jamais rhétoriques ou pompiers, toujours justifiés par une logique d’effet théâtral. Surtout, il relit la partition avec un œil tourné vers le futur : juste avant Macbeth, Attila est un laboratoire formidable dans lequel Verdi élabore des solutions dont il saura tirer profit par la suite. Ainsi pour le finale du premier acte, avec l’impressionnante apparition du pape Leone et de ses fidèles – saisissant est l’effet produit par les chœurs de Bruno Casoni, qui approchent progressivement jusqu’à arriver sur scène –, et la fulguration du protagoniste, bien au-delà du finale du deuxième acte de Nabucco. Puis lorsque la foudre éclate au cours du grand banquet du deuxième acte : non seulement le surnaturel fait son apparition de façon inattendue, mais il cristallise dans un cri d’horreur générale cette dernière cène laïque, présidée par un héros violent mais généreux. Enfin dans le magistral crescendo du dernier acte, musical tout comme dramatique, où les protagonistes progressivement se rassemblent et où la romanza de Foresto débouche insensiblement sur le quatuor final, avec une vitesse quelque peu brutale mais efficace.

La distribution est dominée par le Foresto de Fabio Sartori, probablement l’un des meilleurs ténors de la scène italienne : la limpidité du phrasé et, surtout, la maîtrise du style vocal verdien lui ont garanti un véritable triomphe personnel. A l’opposé, l’Odabella d’Elena Pankratova, voix importante mais peu homogène, incapable de gérer les difficultés d’une écriture qui plie l’héritage du belcanto à de nouvelles exigences dramatiques. La longévité de sa carrière verdienne a aidé Leo Nucci à aborder le personnage ambigu d’Ezio : mais on a tout le temps une impression de fatigue, que la vaillance de sa participation n’arrive jamais à dissiper. Gianluca Floris (Uldino) et Ernesto Panariello (Leone) prouvent l’avantage d’attribuer les rôles de comprimari à d’excellents chanteurs. Plus nuancée est l’impression que donne Orlin Anastassov, qui campe un imposant Attila. On comprend vite que le physique du rôle n’est pas tout : la voix n’est jamais mémorable, l’aigu s’impose difficilement dans la salle, l’interprète, surtout, est souvent générique. Victime des intérêts particuliers des autres personnages, Attila est un héros nocturne, un condottiere indomptable : limiter son action à des pulsions primordiales est réducteur, sinon fatal.

G.M.


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Prologue, scène II, Fabio Sartori à droite (Foresto).


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Prologue, scène I. Photos : Brescia/Amisano - Teatro alla Scala