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Henriette Bonde-Hansen (Marguerite de Valois), Ingela Brimbert (Valentine).

 

On les attendait avec tant d’impatience, ces Huguenots ! Beaucoup ont fait le voyage pour voir ce que l’Opéra de Paris aurait dû nous rendre depuis longtemps. Ils n’ont pas été déçus.

Olivier Py, d’abord, évite les pièges de l’actualisation pour jeter des ponts entre plusieurs moments de l’Histoire, justifiant la diversité des costumes, somptueuses toilettes Renaissance, redingotes ou vestons, préférant suggérer plutôt qu’asséner – on comprend bien ce que signifient, à la fin, ces Huguenots sommairement exécutés, leur valise à la main, ou ces croix brandies tout au long du spectacle. Une Histoire qu’il assimile lui-même à la violence et à la folie, latentes ou déchaînées, même lorsqu’on célèbre, au premier acte, le vin et les femmes. Il est vrai qu’ici, comme toujours chez lui, le monde reste régi par Eros et Thanatos, avec ces têtes de morts si souvent présentes dans ses productions. L’Histoire se confond donc avec le mythe, croise la foi chrétienne et le paganisme antique : rien de gratuit dans la présence de Diane et d’Actéon nus, pertinent écho à la scène du bain, rien de gratuit dans la transformation en bacchanale de la beuverie du début, alors que la scène des bohémiennes, loin de tout pittoresque, devient une danse macabre. A travers l’opéra de Meyerbeer, le metteur en scène nous redit que l’homme ne parvient jamais à maîtriser ses propres démons. Il assume toutes les dimensions de l’œuvre, sa cruauté, sa légèreté et son érotisme : la partition se situe parfois très près de l’opéra-comique et la scène du bain a ce qu’il faut de badinage coquin. Noir et blanc, sur lesquels l’or jette ses flammes, néons aveuglants, structures métalliques volontiers coulissantes : Olivier Py est bien là, comme il l’était dans Mathis le peintre dont on retrouve les façades Renaissance, avec son tropisme nocturne, dans ce goût pour la beauté plastique, pour le tableau – le bain rappelle Ingres -, ce penchant pour le monumental, comme s’il ressuscitait à sa façon, non sans gourmandise, les somptuosités de la peinture d’histoire. Cela dit, admirablement servi par les magnifiques éclairages du fidèle Pierre-André Weitz, il reste homme de théâtre, fait bouger, avancer, inventif mais concentré, imposant un chanteur un jeu aussi libre qu’exigeant. 

On a tellement charcuté l’œuvre qu’il faut remercier Marc Minkowski de s’appuyer sur l’édition critique et de nous restituer Les Huguenots dans leur quasi intégralité, avec danses, air de Valentine, air de Raoul au cinquième acte, rondeau d’Urbain rajouté pour la Alboni, une prière de Marcel inédite. Ne nions pas le pompiérisme des Huguenots : il est d’époque, inhérent au genre et n’en occulte pas les beautés et les nouveautés, aussitôt repérées par Berlioz. On pouvait craindre que le chef français, qui souvent se laisse emporter, ne le maîtrise pas : il n’en est rien, il tient son affaire, conjugue son sens du théâtre et son goût des couleurs, crée des atmosphères, s’épanche sans dégouliner, tendant jusqu’au bout le long arc du drame – limpidité sensuelle du bain, introduction fiévreuse à l’air de Valentine, lyrisme éperdu du duo d’amour. Du meilleur Minkowski. Pas facile de réunir une distribution pour cet opéra où il faut au moins, même si tous n’ont pas d’air, sept chanteurs de poids, n’insultant pas la prosodie française – on peut passer sur l’accent. Trouver un lointain successeur à Nourrit constitue la plus grande difficulté : Eric Cutler, qu’on vit à Bastille en Berger de Szymanowski, impose un Raoul de grande classe, tendre et vaillant, maître de sa voix mixte et donc homogène de tessiture, jamais chapon qu’on égorge, au phrasé élégant, qui arrive au bout en parfaite santé vocale, après le si difficile « A la lueur de leurs torches ». Mireille Delunsch n’a pas toutes ces qualités – elle n’a d’ailleurs pas naturellement les moyens du falcon de Valentine : le timbre a perdu de sa substance, les aigus sortent difficilement, elle n’assume pas toujours la longueur des phrases. Mais elle nous bluffe, une fois de plus, par l’intensité et la sincérité de son engagement, la justesse de la composition, figure sacrificielle de chair et de sang. Marguerite a souvent été réduite à la virtuosité de ses vocalises, confiée à des rossignols plus ou moins acides : Marlis Petersen, qui a brillamment remplacé l’Ophélie de Natalie Dessay au Met, s’impose d’emblée par une voix égale sur l’ensemble de la tessiture, agile mais timbrée. Grâce aussi à Olivier Py, elle impose surtout un vrai personnage, à la coquetterie ambiguë, à la robe rougie du sang des massacres qu’elle ne peut éviter. On a déjà beaucoup écrit sur la très jeune Yulia Lezhneva, une découverte de Marc Minkowski – ils ont déjà gravé un CD Rossini. La soprano russe a en effet de l’abattage et de la colorature, de la technique et du style : on n’en trouvera pas moins son page groom encore un peu vert et monochrome. Plus qu’en Mireille Delunsch inégale, le chant français s’incarne dans les clés de fa. Le Nevers de Jean-François Lapointe a belle et fière allure, le Saint-Bris fanatique et mordant de Philippe Rouillon impressionne et inquiète. Celui-ci trouve en Jérôme Varnier un interprète à sa mesure, serviteur bourru puis illuminé, nullement gêné par les intervalles redoutables du célèbre « Piff, Paff », aux graves profonds, superbe de noblesse et de phrasé dans le Trio de la bénédiction nuptiale. Beau chœur enfin, autre protagoniste de l’action.   

 Avec ces Huguenots en gloire, chantés par deux distributions en alternance, la Monnaie termine sa saison plus brillamment que l’Opéra de Paris.  

D.V.M.


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Jean-François Lapointe (Comte de Nevers), John Osborn (Raoul de Nangis), De Retz (Arnaud Rouillon), Cossé (Xavier Rouillon), Tavannes (Avi Klemberg), Marc Labonnette (Thoré), Frédéric Caton (Méru), Blandine Staskiewicz (Urbain).


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John Osborn (Raoul de Nangis), Ingela Brimberg (Valentine), François Lis (Marcel).© Clärchen und Matthias Baus