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Ingela Bohlin (Hanako) Fredrika Brillembourg (Jitsuko Honda).

 

Le Théâtre de la Monnaie a eu l’excellente idée de faire précéder la création du nouvel opéra qu’il a commandé à Toshio Hosokawa de la reprise du précédent, datant de 2004. Malgré ces sept ans de décalage, les deux œuvres sont jumelles et forment diptyque, lequel pourrait se donner en une soirée, chacune durant un peu moins d’une heure et demie. Mêmes effectifs orchestraux (une formation de chambre d’une vingtaine de musiciens), auxquels vient s’ajouter dans l’œuvre nouvelle un petit ensemble de huit chanteurs, même thématique empruntée au théâtre Nô classique du XVe siècle, l’héroïne principale étant une femme que l’abandon de l’homme qu’elle aimait a rendue folle, même intégration intime de la dimension chorégraphique. Mais Hanjo était chanté en anglais, tandis que Matsukaze l’est en allemand, et si les deux metteuses en scène sont des chorégraphes célèbres, Sasha Waltz, contrairement à Anna Teresa de Keersmaeker, a fait de l’œuvre nouvelle un véritable « opéra chorégraphique ».

Je dirais même un ballet avec chant, car l’intervention des instruments n’y est pas permanente – celle des voix moins encore, tandis que même les plages de (quasi-)silence, avec la seule présence des bruits de nature (vent, ressac de la mer), s’accompagnent d’une permanence de la danse, véritable fil conducteur de l’ouvrage. Les deux productions se recommandent par une pudeur expressive et une élégance visuelle calligraphique, dans le plus pur esprit d’un bouddhisme très japonais, mais non sans nuances chrétiennes (de même que la musique est sans doute plus « occidentale » que celle que Toshio Hosokawa écrivait naguère). On a revu avec une joie intacte la magnifique réalisation de Hanjo, avec seulement de nouveaux chanteurs (dont l’admirable Hanako/Hanjo d’Ingela Bohlin) et un nouveau chef, le parfait Koen Kessels.

Dans Matsukaze, la nature est encore plus présente, dans un esprit que le compositeur lui-même associe à la spiritualité panthéiste propre au bouddhisme. Un grand prologue instrumental d’un quart d’heure, succédant lui-même à une chorégraphie silencieuse, précède la première intervention chantée – celle du Moine voyageur, l’impressionnante basse norvégienne Frode Olsen, alternant avec les brèves répliques du Pêcheur (Kai-Uwe Fahnert) et du petit chœur. Ce n’est qu’assez tard qu’apparaissent enfin les deux sœurs, devenues fantômes planant dans les airs, prisonnières de la folie de leur commun amour inassouvi pour le poète Yukikira qui n’apparaît jamais. Le rôle essentiel est celui de Matsukaze (« Vent dans les pins »), confié au sublime soprano de la comédienne Barbara Hannigan (très remarquée déjà à la Monnaie dans le périlleux rôle de colorature de Gepopo dans Le Grand Macabre de Ligeti). Le timbre le plus sombre de Charlotte Hellekant (contralto) lui donne la réplique en Murasame (« Pluie d’automne »). Le petit chœur s’intègre avec finesse et subtilité à la trame chromatique et musicale. Le Moine juge sévèrement ces âmes inassouvies qu’il traite de « pécheresses » mais, avant de les quitter, ses prières obtiendront enfin leur délivrance. En une scène d’une beauté visuelle à couper le souffle, le pin éternellement vert surmontant la tombe du poète se dépouille de ses aiguilles en une pluie de baguettes transparentes et légères jonchant peu à peu le sol. Désenvoûtées, les deux sœurs touchent terre et trouvent l’éternel repos. Certes, la partition d’Hosokawa est admirable, avec ses rares éclats de violence rompant soudainement son climat intimiste, minimaliste, aux franges et même au-delà du silence. Mais c’est la chorégraphie proprement géniale de Sasha Waltz, confiée à une quinzaine de danseurs venus avec elle de Berlin (tout comme le petit ensemble vocal), qui nous offre sans cesse ces gestes et mouvements d’une rare et absolue perfection. N’ayons garde d’oublier l’excellente direction musicale de Pablo Heras-Casado. Comme le disait le vieux Plotin, « il faut s’enfuir vers cette beauté ».

H.H.
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Fredrika Brillembourg (Jitsuko Honda) William Dazeley (Yoshio).