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Homo homini lupus

Un travail scrupuleux sur la version française, le choix d’un metteur en scène aguerri au théâtre lyrique et un fort esprit de troupe ont mené au succès l’entrée au répertoire de la Comédie-Française de L’Opéra de quat’ sous de Bertolt Brecht et Kurt Weill.

On avait gardé un souvenir très mitigé de la dernière tentative de la Comédie-Française, en 1997, de faire chanter ses comédiens avec une Vie parisienne d’Offenbach dans une mise en scène lugubre de Daniel Mesguich – lequel faisait tout pour mettre les acteurs dans les pires conditions pour chanter en mesure. Ce n’est pas le cas avec Laurent Pelly qui connaît bien l’espèce « artiste lyrique » et a tout fait pour tirer le maximum de la race « comédiens ayant appris à chanter ». Certes les songs de L’Opéra de quat’ sous ne demandent pas autant que les airs et ensembles du théâtre lyrique d’Offenbach, ils requièrent une connaissance du style, une vivacité sarcastique et un mordant qui sont plus proches du théâtre parlé. Le choix de la version française (traduction de Jean-Claude Hémery) leur facilite le travail ainsi qu’au public, notamment à ceux qui ont le souvenir du très factice travail de Robert Wilson sur la version originale, lors de la tournée pour le Festival d’Automne du Berliner Ensemble, en déroute au Théâtre de la Ville la saison dernière.

Du simple point de vue théâtral, la mise en scène de Pelly est une formidable réussite, très fidèle à l’esprit dans une translation de l’action dans une Londres post-thatchérienne sur fond (peu historique) du couronnement de la Reine… avec gangsters, seconds couteaux et bordel réaliste où l’homme est un loup pour l’homme. Responsable aussi des costumes, Pelly n’a pas donné dans les clichés berlinois ou chaplinesques ni dans le cabaret grand-guignolesque comme Wilson à Berlin. L’impressionnante scénographie de Chantal Thomas utilise dans ses trois dimensions la scène grande ouverte et d’efficaces changements à vue, avec comme inconvénient que certaines parties de l’action perdent leur intimité. L’effet de troupe joue au maximum et avec une grande efficacité dans une pièce qui comporte tant de très petits rôles, tous formidablement mis en relief.

Les principaux étaient tenus par les comédiens phares de la maison. Thierry Hancisse particulièrement, qui donne un poids physique écrasant à Mackie Messer, personnage complexe dont il exploite toutes les facettes avec son immense charisme. Compte tenu de l’écrasante partie vocale du rôle, on peut dire qu’il s’en tire avec tous les honneurs – et même plus, car il fait évoluer son personnage également vocalement. Véronique Vella, désopilante Madame Mitchum, est la seule à posséder instinctivement le style brechtien dans ses songs et dans les dialogues. Serge Bagdassarian ouvre gravement le spectacle avec une complainte des chanteurs de rue épatante et assure aussi le rôle du Pasteur. Bruno Raffaeli donne sa grande gueule au père Peachum. Il aurait été dommage de se priver de l’ironie distanciée et l’allure dégingandée de Marie-Sophie Ferdane pour incarner Lucy, mais vocalement elle était le point faible – quoique parfois cela ajoutait à la dérision du personnage. Excellente vocalement, en revanche, était la belle et radieuse Polly de Léonie Simaga.

Soutenu par un orchestre de treize musiciens réunis pour la circonstance et dirigés par Bruno Fontaine parfaitement dans le style et le son de Kurt Weill, cet Opéra de quat’ sous se situait à un niveau musical que pourraient lui envier maints théâtres lyriques.

O.B.

En alternance jusqu’au 19 juillet


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Photos : Brigitte Enguérand