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Valérie Gabail, Poppée. Photo Anne Nordmann.     


     A la saison dernière, public et critique, unanimes, avaient chaleureusement accueilli cette production, mise en scène par Christophe Rauck. Sa reprise au Théâtre Gérard Philipe (dans le cadre d’une tournée en région parisienne) est l’occasion de saluer une réalisation de belle qualité.

L’ensemble Les Paladins, certes modeste en nombre, ne le cède en rien à d’autres formations plus prestigieuses : il possède beau son et variété des couleurs, et l’attention gourmande du chef, Jérôme Corréas, envers ses musiciens autant qu’envers les chanteurs crée les conditions d’un dialogue sans rupture entre fosse et plateau. Quelques enchaînements à fluidifier, quelques dynamiques à nuancer, sont les seuls minces regrets devant leur Monteverdi bien tenu.

Le plateau vocal est de la même eau, c’est-à-dire qu’il compte très peu de points faibles. L’Amour de Hadhoum Tunc est une voix trop menue au medium qui ne passe pas la rampe – mais dans ce rôle bref, c’est moins dommageable que l’erreur de casting flagrante qui touche Sénèque : si Vincent Pavesi possède un timbre et des graves de basse profonde, il n’a pas tous les moyens techniques requis par le Philosophe, tentant vainement de chanter la quinte supérieure d’un rôle qui n’est pas dans sa tessiture, et de vocaliser un fiorito qui le détimbre et le fait détonner. Une fois faites ces quelques réserves, on louera en premier lieu la Poppée raffinée – sachant passer de façon troublante du caprice à l’insinuation – de Valérie Gabail, l’Octavie digne et majestueuse jusque dans la douleur de Françoise Masset, et l’Othon très élégant de Paulin Bündgen – rondeur du timbre de contre-ténor, moelleuse et si rare ! Le Néron de Maryseult Wieczorek, malgré un bel engagement et des moyens tout à fait adéquats, ne retrouve pas la même justesse de style, de diction, de versatilité dans la nuance – mais sans déparer toutefois le plateau. Les seconds rôles (qui n’en sont pas vraiment, tant l’opéra les croque avec verve) sont impeccables, à commencer par la double nourrice de Jean-François Lombard, qui échappe à la caricature, et par le Valet de Charlotte Plasse, qui rend à sa partie toute son impulsivité farouche.

Dans cette acuité des interventions, qui rend présents et vrais les personnages, il faut aussi créditer la direction d’acteurs approfondie de Christophe Rauck – à l’exception de deux soldats de Néron droit sortis du camp de Petibonum, drôles certes à leur première apparition, mais trop décalés lorsqu’il s’agit d’amorcer la mort de Sénèque. La scénographie d’Aurélie Thomas, sans décors fabriqués, repose avec justesse sur quelques toiles et quelques objets clés – fresques astrologiques, globe terrestre… –, qui situent l’enjeu de pouvoir et laissent le premier plan aux rapports intimes entre les personnages. C’est sobre et judicieux, et habité par des interprètes qui vivent chaque mot : l’essentiel, pour Monteverdi – et pour le théâtre, tout simplement. On enterrait les rois à Saint-Denis – on y couronne aujourd’hui Poppée avec classe.

C.C.