OEP125_1.jpg
Blandine Staskiewicz (Cendrillon) dans la scène du Bal.


L’Opéra-Comique avait accueilli Cendrillon à sa création en 1899. Puis un long silence l’avait transformée en Belle au bois dormant. Son réveil, cette année, nous offre de redécouvrir une partition délicieuse de Massenet, mêlant les tons (le léger et le dramatique, le pastiche et le mélo) et les références (au XVIIIe, au Shakespeare du Songe d’une nuit d’été ou de la forêt de Windsor) avec une grande finesse de couleurs orchestrales, de volubilité du discours, et de tendresse souvent. Certes, le livret d’Henri Cain d’après Charles Perrault n’est pas toujours habile – la grande déploration du père de Cendrillon arrive bien trop tôt, avant même l’exposition principale, et son émotion en tombe à plat ; certaines scènes traînent en longueur (la première entrée de la belle-mère, le duo de Cendrillon et de son père…) aux dépens des ruptures de ton indispensables pour éviter le farcesque comme le larmoyant. Mais malgré cette construction inégale, malgré même les aspects les plus désuets d’un langage qui porte aujourd’hui à sourire (« Ô ma Lucette… » – non que le prénom soit disgracieux, mais il dépeint indéfectiblement à notre imaginaire un personnage de soubrette de comédie, très décalé en situation de duo passionné…), on reste enthousiaste devant la musique et les inventions de Massenet, qui vont de la veine mélodique la plus joliment sentimentale aux trouvailles d’atmosphère joyeuses ou fébriles.

On aurait aimé, justement, plus de volupté dans la fosse, où les Musiciens du Louvre-Grenoble ne déméritent pas mais sonnent trop mat, sans le scintillement ou la houle que la partition leur réclame souvent. A leur tête, Marc Minkowski est d’une grande précision et attention, mais assez sage dans ses tempi et son agogique – qui pourrait lutter mieux contre les baisses de tonus du livret. Sagesse due peut-être à un plateau qui semble parfois hésitant quant à la mise en place musicale. On pardonne à Laurent Alvaro, qui remplace au pied levé Franck Leguérinel dans le rôle de Pandolphe, ses quelques hésitations ; mais les ensembles et les chœurs sont souvent prudents, avec des départs que l’on sent manquer du parfait confort qui peut seul laisser s’épanouir le rythme et le sourire. Côté voix féminines, c’est plutôt la technique qui semble induire une justesse parfois imparfaite, un peu basse pour la Cendrillon de Blandine Staskiewicz (timbre comme appuyé sur le larynx), un peu haute pour son Prince Charmant (Michèle Losier, au contraire claire et ouverte). Si tous les trois chantent avec conviction et volonté de nuances leur partie, aucun n’évite des ruptures de conduite et de legato – ce qui est d’autant plus audible avec le timbre puissant de Laurent Alvaro, qui perd alors beaucoup de sa couleur. La Fée est un rôle redoutable : la colorature de Lakmé alliée à la sensualité d’une tessiture longue – Eglise Gutiérrez la possède, mais manque aussi de l’aisance suprême qui permet de transformer l’exercice d’équilibre en miracle de poésie. Les deux sœurs (Aurélia Legay et Salomé Haller), traitées en binôme bouffe par Massenet, sont un peu à l’arraché mais très dôles. Tous sont en permanence descendus à l’avant du plateau par la mise en scène de Benjamin Lazar, frontale et quasi sans profondeur, ce qui entraîne, avec l’acoustique si amplifiante de l’Opéra-Comique, un défaut d’équilibre et de nuance, et l’impression que tout le monde chante trop fort, tout le temps. Côté musique, donc, si l’on découvre avec plaisir l’opéra-comique Cendrillon, on ne ressent pas la magie du conte de fées. Une interprète passe au travers de tous ces problèmes : mise en place impeccable, diction gourmande, voix énorme dont elle joue avec humour : c’est la marâtre d’Ewa Podles, formidable. Même ses changements de registres – qui, vu la profondeur de sa voix, s’apparentent à de la spéléologie – deviennent des moments de théâtre !

Côté mise en scène, le sentiment est également mitigé. Benjamin Lazar réussit de très jolis temps de poésie, mais laisse parfois des idées en plan. Au rayon des grands regrets – outre ces chanteurs toujours en bas de plateau et une direction d’acteurs qui laisse Cendrillon en roue libre : pourquoi diable avoir lancé l’idée du théâtre dans le théâtre, au début de l’opéra, pour n’en rien faire ensuite, et ne pas l’avoir reprise au seul moment où l’œuvre pouvait le suggérer (dans sa morale conclusive chantée face public) ? Et pourquoi n’avoir pas mieux aménagé une dramaturgie dansée tout au long des ballets qui parsèment la partition ? Car les chorégraphies de Cécile Roussat et Julien Lubeck alternent déhanchements cocasses, esprit classique (sur pointes) et mouvements modernes (sur demi-pointes), au point que l’on se perd entre premier et second degrés sans savoir s’il faut rire ou pas de certains moments… Restent, heureusement, des costumes post-Grand Siècle farfelus à souhait (Alain Blanchot), des tableaux visuels très poétiques (la lumière cendrée qui se pose sur l’intérieur de Pandolphe, ou le grand Chêne des fées qui plonge dans la nuit). Obscurité et lumière, c’est là que réside le meilleur du spectacle : les hommages rendus à l’époque de la création (qui avait vu, en 1899, l’électricité pénétrer le plateau de l’Opéra-Comique) sont toujours justes et « merveilleux » comme un deus ex machina moderne. Projection de cinéma à l’ancienne, ou citation chorégraphique des évolutions filmées de la Loïe Fuller : notre regard redevient alors celui du spectateur de l’époque, captivé par la scène comme par une lanterne magique. Alors, la féerie est là – mais, comme le bal de Cendrillon, passe un peu trop vite.

C.C.
OEP125_2.jpg
Aurélia Legay,  Salomé Haller et Ewa Podles.

OEP125_3.jpg

 Blandine Staskiewicz (Cendrillon). Photos Elisabeth Carecchio.