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Certains metteurs en scène ont assez d’oreille pour fredonner les ouvrages sur lesquels ils travaillent sans pour autant songer à s’improviser ténor ou baryton. Quelques uns, il est vrai, sont d’anciens chanteurs, rarement de premier plan et s’imposent plus rarement encore.

Rollando Villazon se distingue donc mais, s’il doit persévérer, il lui reste beaucoup à apprendre car il semble n’avoir qu’une notion vague de l’expression théâtrale et de la direction d’acteurs. Mettre tant de vrais professionnels à la disposition d’un artiste qui fait ses gammes, c’est leur manquer de respect et faire injure à ceux, plus expérimentés, qui les auraient mieux servis.

Il n’empêche que Villazon, à l’évidence, a beaucoup médité sur Werther. Il a des idées, beaucoup d’idées, il en met trop et le spectacle ressemble à une explication de texte : Werther est fou, Werther est un enfant (et tout au long on verra ses doubles en contrepoint affublés du même manteau jaune canari) ; Charlotte et lui sont unis par un amour fatal (une écharpe rouge revient comme un leitmotiv) etc. Il y a une horloge, symbole de la dernière heure, une grande cage-volière pour tenter d’y enfermer le grain de folie, des coussins rouges alignés en rangs d’oignons que l’on peut faire voler…

Le sommet est atteint lors de l’interlude de la Nuit de Noël transformé en cauchemar de Charlotte. Cela commence par l’enlèvement du clavecin porté en grande pompe par des figurants vêtus de noir, comme un cercueil ; survient Sophie dont l’index menaçant désigne la coupable, enfin Albert paraît en contre-jour tel la statue du Commandeur ! Quand Charlotte pénètre dans la chambre, Werther ne s’est pas encore suicidé : il écrit fébrilement, narcissiquement, des pages et des pages pendant qu’elle se désespère à l’écart. On se demande même pourquoi il lui répond.

Ce n’est pas absurde dans la mesure où le héros de Goethe s’occupe bien davantage de lui-même et de ses lettres que de la femme qu’il s’est choisi pour bourreau. Mais, dans le cadre de l’opéra, cela ne fonctionne pas ; aucune émotion ne se dégage de ce dernier tableau qui tirerait une larme à l’œil le plus sec.

L’idée générale qui a guidé Villazon semble empruntée à Ariane à Naxos : des bouffons viennent faire contrepoint à la tragédie pour lui redonner, par antiphrase, une crédibilité. Ainsi les prosaïques Schmidt et Johann, flanqués de Brühlmann et Kätchen, romantiques de carte postale, plus éphémères encore, deviennent-ils omniprésent. Ce n’est pas non plus un contresens puisque ces personnages ont été créés par les librettistes pour mettre en valeur, par opposition, la sincérité de Werther et de Charlotte, mais forcer le trait à ce point frôle le ridicule. D’autant que ce clowns font des pitreries rebattues, tout comme les autres protagonistes se contentent de gestes convenus.

Le plus grave, dans cette production, c’est une cruelle absence de musicalité. Car, pas plus que la partition et la mise en scène ne respirent ensemble, l’orchestre n’est en phase avec le plateau. Le chef, Leopold Hager, ne fait pas dans la finesse, même s’il met parfois certains détails en valeur mais, surtout, on n’a pas l’impression qu’il accompagne, qu’il suive ou qu’il guide les protagonistes. Chacun — metteur en scène, chef, chanteurs — reste dans sa bulle.

Les qualités réelles d’Arturo Chacon-Cruz, en dehors d’une ressemblance physique et vocale avec Villazon, n’empêchent pas qu’il semble s’être trompé d’ouvrage. Karine Deshayes, Charlotte fine et sensible, n’est pas en mesure de redresser la situation. La seule scène vraiment touchante, est celle où elle dialogue avec l’excellent Albert de Lionel Lhote au début du deuxième acte : on se rend compte qu’elle aime vraiment son mari, qu’il est l’homme qu’il lui faut, tendre, fort et équilibré.

L’air des lettres est gâté par les inconséquences de la mise en scène. De même la scène avec Sophie dont le personnage est si mal construit que la présence vocale d’Anne-Catherine Gillet n’empêche pas qu’elle semble un peu à côté. Décidément, il n’y a qu’Albert qui soit parfaitement « juste », de style, de musicalité, d’incarnation. Si Villazon voulait réhabiliter le rôle, il a pleinement réussi.

G.C.


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Photos M. Cavalca / Opéra de Lyon