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Dans l’élan de la programmation de musicals impulsée au Théâtre du Châtelet depuis quatre ans par Jean-Luc Choplin, on attendait beaucoup de ce Show Boat. L’œuvre est une pièce fondatrice du répertoire, et son histoire intimement liée au Châtelet puisqu’elle y fut représentée deux ans à peine après sa création, en 1929, sous le titre Mississipi. En outre, sa thématique audacieuse pour l’époque (les enjeux dramatiques des lois raciales sévissant alors encore dans certains états des USA) rendait la venue à Paris d’une production sud-africaine (en l’occurrence, celle de l’Opéra du Cap) d’autant plus intéressante.

Force est de constater que l’esprit de cette production voisine avec la reconstitution d’un théâtre d’époque dans ses limites les plus datées. Opter pour le réalisme de la scénographie (décors de Johan Engels et costumes de Birrie le Roux), pourquoi pas ; les cheminées du bateau-théâtre et les balles de coton, les robes à tournure puis celles façon Poiret (l’action se déroulant sur plus de quarante ans) sont bien là. Mais la mise en scène de Janice Honeyman abuse de la fixité frontale, laisse les ensembles à eux-mêmes au point que les travailleurs supposément exténués ont l’air de s’ennuyer plus souvent qu’à leur tour, et prend l’intrigue pour un simple prétexte au spectacle – ce qu’elle n’est pas, loin de là. Ravenal, par exemple (Blake Fischer), reste en permanence à la surface de son rôle, poseur et bellâtre, sans jamais sembler vraiment concerné par l’évolution qu’il est censé connaître : flirter d’abord, puis tomber vraiment amoureux, être pris par l’enfer du jeu, abandonner femme et enfant, les retrouver des années plus tard plein de remords… tout cela s’enchaîne sans vérité, sans émotion, sourire Ultrabrite aux lèvres. La direction d’acteurs est celle d’un théâtre de papa : on crie la moindre réplique (et comme l’ensemble est sonorisé, l’effet est d’autant plus désastreux), on cabotine. Bref, si cela peut passer dans les scènes de comédie pure (les parents, Malcolm Terrey et Diane Wilson, y excellent), personne ne croit vraiment aux mésaventures de la jeune Magnolia (Janelle Visagie, à la voix bien trop mature pour le rôle) ni au drame de Julie. Sauf Julie elle-même, c’est à dire Angela Kerrison, qui offre les rares moments d’émotion vraie de la soirée, rares instants où l’on est vraiment transporté par la musique de Jerome Kern et par le livret d’Oscar Hammerstein II. Autour d’elle, Show Boat est réduit à un spectacle de bateleurs sans âme. On jugera de la déception à l’aune du rôle de Queenie : comment jouer encore en 2010 un personnage de mamma noire à la façon de Hattie Mc Daniel dans Autant en emporte le vent ?! Show Boat est-il si inconséquent qu’il faille le laisser à ce « théâtre »-là ? Ses personnages n’ont-ils pas l’épaisseur requise pour être habités par leurs interprètes et dirigés par un metteur en scène – pas simplement mis en place et surjoués ? De bonnes voix (Fischer et Visagie), voire de belles voix (Kerrison) ne parviennent pas à donner vie à une soirée qui s’éternise, Albert Horne peinant à dynamiser l’Orchestre Pasdeloup et les chorégraphies de Timothy le Roux n’éclatant qu’à peine dans le tableau charleston du second acte. Le public, lui, fait un triomphe au spectacle, et plus encore à Otto Maidi dont le « Ol’Man River » (certes sonore) est aussi monolithique que la scène autour de lui. C’est pourtant là un Show Boat qui n’est pas pris au sérieux, utilisé comme prétexte à un théâtre de cabotinage, gommé dans ses aspérités dramatiques et – pire encore peut-être, bien plus « bateau » que show.

Un pas en arrière dans la « mission musical » que le Châtelet s’est donnée.

C.C.

à lire : La Comédie musicale, mode d'emploi, par Alain Perroux


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Photos : Malin Arnesson. Teaterbåten - Malmö Opera, Suède