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Olga Guryakova et Ludovic Tézier au premier acte.

A l’instar du Vaisseau Fantôme qui l’a précédé de quelques semaines, cet Eugène Onéguine est une reprise d’une production de Willy Decker. Et comme lui, il souffre d’une absence de vision et de pertinence dans la dramaturgie et la scénographie. On y retrouve la même donnée de base : un décor unique tendant à l’abstraction des surfaces, qui ne fait pas sens ici car il confond intérieurs et extérieurs dans un relâchement de la perception spatiale qui nuit à l’émotion – notamment à l’émotion intimiste de la scène de la lettre. On retrouve aussi une direction d’acteurs qui laisse beaucoup de place à l’académisme des poses et des réactions riches en tour de bras éplorés. A mille lieues de la production de Dmitri Tcherniakov présentée à Garnier en 2008, vraie leçon en regard de celle-ci où le principe du décor unique était judicieusement développé et où la direction d’acteurs, affûtée, gravait le drame à l’eau-forte… Ici, le seul moyen d’avoir un bel Eugène Onéguine malgré ce non-univers scénographique, c’est de le peupler d’interprètes de haut vol… et heureusement ce qui manquait au Vaisseau (en tout cas pour son protagoniste) se concrétise : un plateau remarquable – oublions la Larina de Nadine Denize, dont le médium est depuis longtemps un trou de voix blanche, et qui est la seule vraie question dans cette distribution.

Définitivement Tatiana, Olga Guryakova explore tous les frémissements de la jeune fille amoureuse, de l’absolu du don, radieux, et de cette mort du cœur quand le refus s’oppose. D’une voix épanouie, riche de nuances et de subtilités, elle captive de bout en bout, superbement entourée du reste. Alisa Kolosova est une Olga solide, beaux graves et beau duo avec sa sœur, mais une silhouette dramatique rendue assez futile par Willy Decker. Joseph Kaiser est un Lenski remarquable : on avait trouvé son Alceste racé à Aix cet été, il en impose de nouveau par un chant d’une élégance et d’une hauteur de style qui amènent à des émotions autrement plus fines et intérieures que certains ténors trop extravertis qui confondent cri et confidence. Son air avant le duel laisse dans la salle un silence de mort et de larme qui, au regard des us et coutumes bruitistes du public parisien, est un petit exploit. En ce soir du 5 octobre, Ludovic Tézier semblait en méforme : on l’a senti extrêmement prudent avec ses aigus pendant toute la soirée, jusqu’à une note finale lancée, craquée l’espace d’une milliseconde et joliment récupérée. Pas tout à fait aidé non plus par un costume peu seyant, ceci ne l’empêchait pas de délivrer une leçon de style, comme à son habitude, et de lyrisme aussi tant son timbre s’accorde aux élans intenses, maîtrisés d’abord puis délivrés à la fin, d’un Eugène opaque et ténébreux. Dans la fosse, Vasily Petrenko délivre un Tchaïkovski très subtil, parfois chambriste dans l’attention aux timbres, soigne des tempi exacts et sans concession autant qu’il soigne le chant et ses inflexions, avec une même grâce dans l’idée et le geste.

Soirée fort applaudie, pour sa haute qualité musicale avant tout.

A lire : Eugène Onéguine, L'Avant-Scène Opéra n° 43 (mis à jour mai 2002)


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Ludovic Tézier et Joseph Kaiser au deuxième acte.


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Olga Guryakova et Ludovic Tézier dans la scène finale. Photos : Charles Duprat / Opéra national de Paris