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La rare Armida, l’un de ces opéras composés par Rossini pour le San Carlo de Naples et notamment pour Isabella Colbran, a fait son entrée au répertoire du Metropolitan Opera de New York. Etrangement, cet ouvrage y a été baptisé sous le signe de la dérision et du gag, éléments qui sont pour le moins inattendus et inadéquats pour un melodramma inspiré du Tasse. Certes, les affiches et programmes de la saison indiquent déjà au spectateur qu’aller voir Armida, ce sera avant tout aller voir Renée Fleming dans le rôle-titre : les photographies de la cantatrice, en tenue plus mondaine que théâtrale, donnent la mesure d’un star system qui engloutit avec lui la profondeur possible du personnage. Plus que magicienne mystérieuse et sensuelle, Armida sera donc en scène une sorte de diva gracieuse et minaudante, qu’on imagine enflammer les hommes alentour plus par les effluves de son nouveau parfum (celui de Miss Fleming est vendu à la boutique) que par des senteurs opiacées de fée noire orientale. Les clins d’œil ne manquent pas à un public prompt à applaudir l’entrée en scène de « sa » vedette ou à apprécier d’un rire complice un second degré appauvrissant (le grand air de l’acte II interprété façon récital devant Rinaldo). 

Une telle lecture aurait pu aller, pour le coup, beaucoup plus loin, mais Mary Zimmerman en reste au premier niveau, souvent sans idée, parfois carrément gauche. Des décors originaux de Richard Hudson, mi-Disneyland Floride mi-Douanier Rousseau, qui invitaient à un imaginaire fantaisiste et coloré, elle ne fait rien, se contentant de régler les entrées et sorties, et le plus souvent de faire chanter frontalement. Des chœurs, rien de plus : ils restent d’un statisme décourageant, ou sont dirigés absurdement (les paladins ont une manière de vérifier que leur cuirasse est bien droite comme s’ils regardaient leur nœud papillon dans un miroir, et tapent du pied en cadence comme pour un swing déplacé…). Les merveilles musicales de Rossini (orchestre et harmonie, surprises de tous ordres, tout allant ici vers l’exotisme et la magie) sont gâchées par cette scène figée et dormante, malgré la baguette parfaite de Riccardo Frizza. Crime absolu, car la musique est aussi au rendez-vous côté plateau vocal : certes imbue de son Armida-diva, Fleming assume avec panache et brillant le fiorito rossinien, un rien languide toutefois dans les tempi, et peut-être trop soprano pour emplir entièrement un rôle dessiné pour Colbran – même si son passage en poitrine est opulent et parfaitement réglé. Autour d’elle, de grands rossiniens sont là aussi, notamment le Rinaldo impeccable de style et de voix de Lawrence Brownlee et le Carlo brillant de Barry Banks, sans oublier John Osborn, Goffredo à la mesure de son rival, et Keith Miller, basse aussi bien chantante que dansante. 

C’est sans doute le paradoxe le plus sensible de cette production : être aussi ennuyeuse avec un sujet pourtant si virtuose, véritable appel à la mise en scène et à l’invention narrative et visuelle. Hormis quelques très beaux accessoires de décor ou d’idée (oiseaux fabuleux, lumières colorées, grandes ailes de chauve-souris à la fin pour Armida), l’ensemble ne bouge pas, ne crée ni le mystère ni l’envoûtement, et détourne même l’émotion vers des farces de tréteaux qui n’ont rien à faire ici. Et que dire du grand ballet, vrai tunnel dramatique du livret qui ne peut être sauvé que par une luxuriance de sensualité et se trouve ramené à de pudiques danses de harem très voilées… Pour cette entrée d’Armida au répertoire du Met, Rossini était là, mais son enchanteresse s’était muée en glamour de papier glacé, qui se voulait complice plutôt que ravisseuse du public. Or… même le public du Met veut se faire ravir par l’opéra, et pas seulement flatter : les huées qui accueillirent Zimmerman le soir de la première disaient bien la frustration d’une salle qui voulait de la magie, n’eut qu’un long ennui malgré de grands artistes. Le Met attend encore sa nuit avec Armida.

C.C.


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Photos: Ken Howard/Metropolitan Opera