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Photo Uwe Arens.


Pour ceux qui connaissent de lui avant tout la présence scénique d’un Wozzeck ou d’un Don Giovanni, le baryton anglais Simon Keenlyside s’est présenté au Palais Garnier dans un rôle plus méconnu : celui de mélodiste. Il a pourtant consacré une part non négligeable de sa discographie au lied allemand, notamment deux récitals Schubert et Strauss avec le pianiste Malcolm Martineau, qui l’accompagnait d’ailleurs vendredi avec une subtile et évidente complicité fraternelle.

Consacrée à la mélodie française (Fauré puis Ravel), la première partie du récital a révélé une perfection de diction inégalée, et une intelligence des textes très réfléchie, donnant lieu à un dosage de nuances douces fort sophistiqué – on retrouvait là quasiment le raffinement d’un Fischer-Dieskau, additionné d’un lyrisme et d’une dynamique accrus dans les moments de tension expressive. Le tout au service de la compréhension : on saisissait la moindre inflexion de sens ou de ponctuation, comme redécouvrant parfois la vivacité interne d’un texte trop souvent mollement écouté (et chanté). Le comédien parvenait à habiter des textes aussi volatils et, par la grâce de Fauré, insaisissables, que Le Papillon et la fleur, à leur donner un sens palpable, et ce n’est pas le moindre de ses mérites. Néanmoins, pendant les neuf Fauré qui débutèrent cette soirée, Keenlyside ne parvint pas à apaiser son corps, à éviter des mouvements désordonnés de son bras droit fiévreusement cramponné tour à tour au piano, à son veston, à son mouchoir… comme pris de court par la brièveté de ces scènes vocales, leur suavité parfois surannée ou leur évanescence pas assez charnelle, justement. Cet étonnant fossé entre un corps instable (peu aidé il est vrai par des lumières et un micro de captation au positionnement malheureux) et un fini vocal parfaitement maîtrisé, commença à disparaître avec les Histoires naturelles de Maurice Ravel, comme si l’ampleur nouvelle de la forme, la présence originale du silence, le rôle particulier du piano (favorisant la dimension imaginaire de l’œuvre), l’humour, la modernité enfin du langage, comblaient enfin le musicien perspicace. Toujours le même français parfait, toujours des mezza voce d’une subtilité folle, distinguant le piano du pianissimo, le mezzo piano du mezzo forte, et une personnalisation fine et drôle des volatiles de Jules Renard ou de l’émerveillement du pêcheur devant l’oiseau posé sur sa canne (Le Martin-Pêcheur).

En seconde partie, Keenlyside semblait entrer définitivement dans la forme mélodique qui lui convient le mieux, celle du cycle (forme ample, lyrique, narrative), et peut-être dans une langue qui lui est plus spontanée (?), l’allemand : son Dichterliebe de Schumann fut magnifié de l’intérieur, exaltant une voix à ses extrêmes de tessiture et d’implication expressive, entre passion et désolation, mais sans démonstration aucune, avec une justesse immédiate. C’est donc par le lied qu’il enchaîna ensuite une quasi-troisième partie (!), celle des rappels réclamés par un public enthousiaste. Pas avare, Keenlyside en offrit six, tous des Schubert sauf un Brahms. A chaque fois, plaisir du mot, de la nuance, du conteur qui chante à son public une histoire toute simple. Enfin parfaitement détendu.

C.C.