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Photos Pierre Grosbois


Près de deux ans après le coup de maître d’un Didon et Enée d’anthologie (la magnifique production de Deborah Warner importée de Vienne en 2008), l’Opéra-Comique a poursuivi et approfondi sa route purcellienne, cette fois avec le semi-opera que constitue The Fairy Queen.

Croisons la fantaisie d’un livret (anonyme) directement inspiré du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, et l’étrangeté de ce genre – le semi-opera – pour le public français, et nous aurons une idée du mélange de ravissement et de… torpeur provoqué par une œuvre aussi bigarrée que déroutante. The Fairy Queen est avant tout une pièce de théâtre – longue, 3 h 20 –, agrémentée au gré de l’action de musique de scène – airs, chœurs, ballets, mélodrames même. Le dosage entre texte et musique est de bout en bout surprenant, parfois équilibré, quand le chant vient contrepointer une scène de dialogue, parfois fantaisiste : la musique disparaît quelquefois durant de longs tableaux, alors que la fin de l’ouvrage semble enchaîner tous les types de finales possibles (air glorieux, chœur, lamento façon « mort de Didon »…). Sans compter l’éclatement soudain des possibles à partir du finale du IV : défilé allégorique des saisons, représentation d’amateurs d’un Pyrame et Thisbé qui tient du happening, intervention finale de Junon, puis d’Adam et Eve… Dans ce déséquilibre même réside un des attraits « baroques » au sens premier de la pièce-partition, comme dans sa réelle qualité musicale et dans le mélange des genres théâtraux, du plus sérieux au plus farcesque, propre à l’époque shakespearienne et notamment au Songe d’une nuit d’été.

De cet argument avec théâtre dans le théâtre « au carré », où des patriarches inspirés de l’Antique (Theseus, Egeus…) arrangent un mariage de raison que de jeunes tourtereaux moliéresques vont tenter de contourner (Hermia, Lysander…) en s’enfuyant dans la forêt, royaume des fées (Titania, ladite queen) qui, en bonnes directrices d’acteurs, comptent bien protéger leur territoire en versant des philtres magiques qui détournent les désirs des uns pour les autres, forêt où par ailleurs quelques bonnes gens du peuple viennent répéter leur pièce qui semble un mauvais digest de tragédie monté sur tréteaux… Jonathan Kent s’amuse, et construit à la perfection ses trois niveaux d’action grâce aux costumes de Paul Brown : les Anciens, emperruqués XVIIe, les fées et les esprits en noir magnétique et sexy jusqu’au bout des ailes, le « petit peuple » en équipe de nettoyage industriel, avec bleu de chauffe et musette à casse-croûte. Mouvant, le décor du même Paul Brown commence en cabinet de curiosité très XVIIe aussi pour s’ouvrir peu à peu et se soulever sur les antres du mystère ou de l’abstrait : c’est un peu Le Songe d’une nuit d’été rue du Bac, chez Deyrolle, où la nuit venue les vitrines s’ouvriraient pour (re)donner vie à leurs occupants – et parmi eux, des silhouettes noires habilement chorégraphiées par Kim Brandstrup… Il y a de l’idée, du charme, beaucoup de rire aussi grâce notamment au talent des comédiens – passés pour la plupart par la Royal Shakespeare Company : encore une belle occasion de vérifier que point n’est besoin de crier pour avoir du charisme – bref, que timbrer sa voix parlée est un vrai art, toujours maîtrisé ici et là, surtout là... Se détachent en premier le Bottom de Desmond Barrit (touchant et hilarant) et la volcanique Titania d’Amanda Harris (queen très cuir et dominatrice). Le seul regret, paradoxal sans doute, c’est que cette projection vocale éminemment maîtrisée et au débit très dominé, comparée aux audaces subtiles de couleurs chez Purcell (pizzicati par-ci, sautillements par-là), sonne plus académique que de raison.

Côté musique justement, les enchaînements sont parfaits, et Jonathan Cohen, assistant de William Christie et au pupitre le 24 janvier, est présent à la respiration et à la virgule près, pour s’intégrer avec fluidité et vivacité au déroulé du spectacle. Belle prestation de tous les intervenants, dont beaucoup de solistes des Arts Florissants, et remarquable Plainte finale d’Emmanuelle De Negri. De cette pièce « irrégulière », donc si follement libre de règles (que ce soit dans l’argument ou dans le rapport de la musique à la scène), le spectacle de Jonathant Kent met finalement en valeur plutôt les rouages drolatiques que ceux irrationnels, sans prendre de liberté totale avec son sujet : des machineries « façon époque » au sous-texte grivois de Pyrame et Thisbé version Bottom & Flute, les attendus sont là, sans fantaisie autre, plus personnelle ou plus surprenante. C’est sans doute grâce à cela que l’on a tant ri, et peut-être à cause de cela que l’on a senti les actes IV et V comme terriblement longs. Au milieu de ce patchwork de personnages qui s’entrechoquent, un fil se dessine pourtant, étudié par Shakespeare avec un soin d’entomologiste : l’Amour. Celui juvénile et incertain d’Hermia et Lysander ou Demetrius et Helena, qui se croisent en anticipant Marivaux ou Così ; celui carnassier de Titania et Oberon, couple aimanté violemment l’un à l’autre et contre l’autre ; celui possessif et transgressif de ces deux mêmes pour un enfant indien qu’ils ont volé à sa mère (!) ; celui tragique de Pyrame et Thisbé retourné en farce par Bottom et Flute ; celui édénique d’Adam et Eve, enfin…. Suivi à la trace, ce fil aurait-il transformé le patchwork en tissage poétique et plus… féérique encore ? Mais il est vrai que, dans le livret, Adam est présenté comme « A Chinese man », et qu’il appelle son Eve « Daphné ». Patchwork, on vous dit…

C.C.


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