Musik-Edition Lucie Galland, coll. Études sur l'opéra français du XIXe siècle, vol. X, 2013, 258 p., 16 €

La reprise tant attendue du La Juive à l'Opéra Bastille en février 2007 s'est accompagnée de deux colloques : le premier, dans le cadre prestigieux de la « Grande Boutique », n'a pas fait d'ombre à l'autre - joliment intitulé Le Retour de Rachel -, plus discret mais plus fructueux puisqu'une partie seulement des communications a fourni la matière de ce copieux dossier.

Karl Leich-Galland qui, depuis trente ans, œuvre à la redécouverte du répertoire romantique français du XIXe siècle par le biais de publication de partitions, de livrets, d'ouvrages épuisés et de dossiers de presse (www.musik-editionluciegalland.net), était l'initiateur de ce colloque qui fait suite à celui de 2000 consacré à Halévy ; il en a donc assuré la présentation. Auteur du Guide d'écoute de L'Avant-Scène opéra n° 100 consacré à La Juive, il détaille ici les étapes successives de l'élaboration de l'ouvrage tandis qu'Olivier Bara pose avec subtilité la question « Un opéra juif ? » à laquelle il donne de vrais éléments de réponse. En annexe, un fragment du Journal de Fromental Halévy relatant sa découverte, à Rome, des rites de la Pâque juive, ne laisse pas de surprendre sachant que son père était employé au Consistoire à Paris. En ces temps où l'assimilation primait tout, le jeune compositeur n'aurait-il pas eu le souci de se présenter aux yeux de ses lecteurs comme un Juif d'origine plus que de pratique ?

L'essai le plus important par la taille et la problématique foisonnante qui l'anime, est dû à la plume désormais posée du regretté Gérard Streletski : à partir des notes si précieuses du chef d'orchestre Ernest Deldevez (qui participa, dans la fosse, à la création de La Juive avant de la diriger lui-même), le musicologue nous entraîne dans une foule de considérations historiques, esthétiques, techniques, analytiques d'une érudition aimable mais parfois intimidante. Au delà des précisions superflues (« le quintette à cordes est au complet » dans l'ouverture) ou naïves (un canon « fait entendre la science de l'écriture du compositeur ») voire des contresens à la faveur d'une note encyclopédique aussi interminable qu'inutile (La gazza ladra qualifiée d'opéra-bouffe...), au delà de l'emploi systématique du conditionnel pour tempérer le futur (« les enclumes dont Wagner saurait se souvenir »), on trouvera dans ce texte matière aux plus fructueuses réflexions.

Passionnante, elle aussi, la communication de la musicologue grecque Maria Birbili « Aux sources du livret de La Juive : la dramaturgie originale d'après Scribe », qui aurait seulement gagné à être relue de près car l'expression approximative, parfois assez confuse (« comme » pour « car » ; « par contre à » pour « à la différence de » etc.) ou les impropriétés sont troublantes dans le cadre d'une recherche aussi serrée. Plus léger mais non moins éclairant, le texte d'Isabelle Moindrot annonce la couleur dans son titre : « Une filiation : Barabas (Marlowe), Shylock (Shakespeare), Éléazar (Scribe-Halévy) » et, sans un mot de trop, tient la gageure.

Enfin, aux communications en anglais « Old and New Convenants : Historical and Theological Contexts in Scribe's and Halévy's La Juive » de Rober Ignatius Letellier et en allemand « Wahlverwandtschaften. Die komplementäre Rolle der beiden Väter in Halévys La Juive », réservées aux lecteurs polyglottes, font pendant celles, unissant approches lyriques et dramatico-psychologiques, de Sieghart Döhring « La haine des Chrétiens et l'affection paternelle : le rôle d'Éléazar dans La Juive d'Halévy » et de Tetiana Zolozova « Éléazar et Kotchubey [dans Mazeppa de Tchaïkovski] - deux hommes devant leur supplice ». Là encore, les titres parlent d'eux-mêmes et augurent bien de ce que le lecteur découvrira.

Sauf Karl Leich-Galland, aucun de ces auteurs n'étant vraiment spécialiste d'Halévy, chacun pose sur La Juive un regard souvent tributaire de la littérature existante pour la discuter ou la paraphraser ; de là une certaine monotonie. Mais c'est inévitable dans un premier temps. 

G.C.