Paris, Vrin, collection Musicologies, 2014, 198 p., 28 €

Voir son soixante-dixième anniversaire marqué par une monographie de cette envergure incite probablement au bilan. Pour une créatrice comme Michèle Reverdy qui disait en 1997, dans un très touchant autoportrait, avoir « le sentiment de n'exister que par [sa] musique », c'est aussi l'occasion de voir, à travers le regard de musicologues, comment sa musique existe par elle-même.

Au si fréquent diptyque « l'homme / l'œuvre », en l'occurrence « la femme / l'œuvre », se substitue ici une approche plus ramifiée qui permet de saisir la compositrice selon des angles complémentaires. Le volet biographique, qu'Emmanuel Reibel a préféré envisager comme une « trajectoire créatrice », met en effet l'accent sur la formation puis sur un panorama contextualisé des œuvres, mais n'élude pas la petite enfance égyptienne de la compositrice, qui se définira plus tard comme le « produit de deux cultures », ni le secret familial d'un père biologique tardivement rencontré, d'où la préoccupation constante des origines.

D'une formation qui repose autant sur la découverte enthousiaste de la production des compositeurs phares de Darmstadt que sur l'apport alors encore assez académique des classes d'écriture du Conservatoire et des enseignements reçus lors d'un assez bref passage par la Sorbonne, on retient surtout l'influence extrêmement forte de Messiaen, maître et mentor. Un chapitre particulièrement judicieux permet de voir comment la musique de Michèle Reverdy est fertilisée par le côtoiement des autres arts, tandis que le « laboratoire » de la compositrice, visité grâce à une abondante documentation de première main, donne entre autres un aperçu de sa technique du « réservoir harmonique ». Conscient de la position délicate qui consiste à être dépendant de la compositrice pour les sources tout en gardant une distance critique, Reibel ne cède qu'avec parcimonie à la tentation d'un discours empathique et laudatif.

Michèle Reverdy, la dramaturge, n'a pas eu un parcours de tout repos avec l'opéra. Achevé en 1986 après plusieurs péripéties, Le Château ne sera jamais représenté, malgré de nombreux appuis et intercessions. Le projet d'Éthelrude restera virtuel, Le Précepteur d'après Jakob Lenz, commande de Henze, n'aura pas la carrière escomptée au-delà de la biennale de Munich. C'est avec Médée (Lyon, 2003) qu'elle connaîtra sa consécration opératique, avec une écriture vocale typique qui révèle un goût pour le bel canto, conjugué cependant avec une tension expressionniste.

La compositrice a aussi axé une partie importante de son activité sur la transmission. Pédagogue, femme de radio, elle a aussi écrit sur la musique de Messiaen. Dans ce chapitre où l'on reconnaît le domaine de prédilection d'Yves Balmer, l'approche volontiers critique de la façon dont le maître à penser contrôlait ce qui était dit de ses œuvres, dans leur aspect non seulement technique mais aussi herméneutique, apporte un bénéfique contrepoint au discours univoque qu'avait engendré Messiaen lui-même.

Michèle Reverdy, qui a, comme Ligeti, entrepris de conjurer le temps par la composition musicale, se dévoile sans fausse pudeur mais aussi sans pathos. Au fil des chapitres, elle apparaît comme une créatrice d'une grande consistance humaine et d'un engagement artistique total.

P.R.