Saint-Étienne, Publications de l'Université de Saint-Étienne, collection « musique et musicologie », 2013, 302 p., 25 €

Depuis une dizaine d'années, la musicologue Michela Niccolai accomplit un travail colossal sur l'œuvre de Gustave Charpentier : inventaire de fonds d'archives, soutenance en 2008 d'une thèse consacrée à la dramaturgie du compositeur, organisation d'expositions et publication de nombreux articles qui contribuent grandement à enrichir notre connaissance du créateur de Louise. En collaboration avec Jean-Christophe Branger, éminent spécialiste du répertoire lyrique français des XIXe et XXe siècles, elle a dirigé cet important ouvrage réunissant huit études qui mettent en lumière certains aspect méconnus de son œuvre et permettent, grâce à quelques portraits croisés du plus grand intérêt, de mieux connaître sa personnalité.

Il revient d'abord à Gérard Condé de montrer comment, en un superbe préambule, Louise représente à la fois l'aboutissement artistique suprême et une sorte d'impasse pour Charpentier. Il explique aussi pourquoi, parmi les compositeurs de son temps, Emmanuel Chabrier est sans doute le musicien le plus proche de son esthétique, de par leur obsession de la nuance, leur perfectionnisme et la « générosité sensuelle » de leur inspiration. Dans son introduction, Michela Niccolai dresse ensuite un état des lieux de la bibliographie et de la recherche consacrées à Charpentier.

La première partie présente trois textes autour de « Charpentier et ses contemporains ». En un premier temps, Jean-Christophe Branger met l'accent sur la très grande estime réciproque et l'amitié sincère qui unit le compositeur à son maître Massenet, avec qui il partage de nombreuses préoccupations stylistiques. Pour sa part, Jean-Sébastien Macke s'intéresse à un autre ami de Charpentier, Alfred Bruneau, qui consacra comme lui beaucoup d'énergie aux sociétés musicales amateurs. Si, à l'inverse de Massenet ou de Bruneau, Reynaldo Hahn ne compta jamais parmi les amis intimes de Charpentier, tous deux se vouèrent néanmoins une grande estime, ce que présente fort bien Philippe Blay. Mais au-delà de cette appréciation musicale, on peut surtout voir en eux deux caractères très voisins, épris de liberté, notamment en regard de la morale sexuelle : Charpentier vécut en union libre avec Camille Villay tout en s'autorisant d'autres liaisons, tandis que Reynaldo Hahn ne fit jamais mystère de son homosexualité et de sa relation avec le ténor Guy Ferrant, de 24 ans son cadet.

La deuxième partie, consacrée à « Charpentier et la naissance d'une nouvelle esthétique musicale », s'ouvre avec la fascinante étude qu'Alexandre Dratwicki consacre à la cantate Didon, qui valut au compositeur le Grand Prix de Rome en 1887. L'auteur situe bien l'œuvre au sein de l'ensemble du corpus des cantates présentées dans ce cadre très strict et fait ressortir la technique du leitmotiv employée par Charpentier. Alban Ramaut explique ensuite pourquoi Charpentier fut considéré par beaucoup de ses contemporains comme le Berlioz de la Troisième République, en ce sens que les deux compositeurs furent les premiers artisans de leur consécration. Steven Huebner se penche quant à lui sur un cycle de mélodies composées sur des poèmes des Fleurs du mal qu'il compare à la production de Debussy et de René Lenormand.

La dernière section (« Mettre en scène Charpentier ») propose d'abord une étude de Giuseppe Montemagno qui confronte Louise et Pelléas et Mélisande à partir du rôle dramaturgique des fenêtres. Michela Niccolai s'intéresse finalement à la dimension scénographique des représentations de Louise à Moscou et à Léningrad au début du XXe siècle. Une riche iconographie s'ajoute à la qualité d'un livre qui prouve avec éloquence à quel point Charpentier est un compositeur ayant profondément marqué son époque.

L.B.