Paris, Classiques Garnier, 2012, 724 p., 59 €

La véritable reconnaissance en France de Benjamin Britten est un fait bien plus récent que ne peut le laisser supposer depuis quelques années la programmation des maisons d'opéra de notre pays. Ce n'est pas le moindre mérite de l'auteur ce copieux ouvrage que d'aborder de façon très circonstanciée et documentée la question de la réception en Europe de ce compositeur majeur du XXe siècle. Dans une troisième et dernière partie qui est probablement la plus intéressante de ce livre, le tour d'horizon qui permet de comparer l'accueil réservé à la vaste production opératique de Britten, notamment en Allemagne et en France, est édifiant. Plus surprenante encore, la forte disparité qui a longtemps prévalu entre les opéras de province, engagés voire militants, et ceux de la capitale, frileux, est analysée avec beaucoup de pertinence par Maéna Py.

Si le genre opératique lui-même fut la cible des tenants les plus intransigeants de la modernité de l'après-guerre, force est de constater que Britten l'avait de longue date envisagé de façon fort lucide, réfléchie et novatrice. La partie consacrée au « années de formation » montre comment le fait de côtoyer le monde du théâtre, notamment entre 1935 et 1955 - décennies pendant lesquelles virent le jour une vingtaine de musiques de scène composées en grande partie pour le Group Theatre -, furent capitales pour le compositeur, pour son apprentissage des théories scéniques mais aussi de l'aspect pratique, de la dramaturgie, et pour le contact avec des auteurs tels que Eliot, Yeats et Auden. Progressivement, Britten réfléchit à tous les aspects de ce spectacle totalisant qu'est l'opéra, y compris à celui du lieu théâtral, à la direction des chanteurs, au décor, et jusqu'à l'importance de l'éclairage.

Mais après avoir insisté en introduction sur la nécessité de ne pas dissocier, lorsqu'il s'agit d'étude de l'opéra, le texte, la scène et la musique, l'auteur aborde en fait beaucoup moins le dernier terme que les deux premiers. Les catégories de l'espace et du temps notamment sont envisagées selon un point de vue scénique plus que musical, si bien que la spécificité d'une musique dont il est suggéré qu'elle est spécifiquement pensée en symbiose avec la scène demeure assez floue. Les considérations sur la vocalité, l'harmonie, l'orchestration, la polyphonie restent assez générales, souvent avancées sous couvert de la caution d'autres auteurs, là où une approche plus analytique serait plus convaincante.

La partie centrale est davantage marquée que les autres par un parti pris systématique, probable héritage de la thèse de doctorat dont est issu cet ouvrage. On y ressent souvent un effet de catalogue, et le passage en revue des différents opéras, un filtre succédant à un autre, alourdit plus d'une fois l'exposé. Pour des raisons analogues, le solide appareil référentiel tient davantage de la compilation d'avis que de la synthèse.

Résultat d'un travail de longue haleine, ce livre regorge d'informations et de considérations d'une valeur indéniable. Si l'on peut regretter que la pensée qui s'y développe ne soit pas davantage cristallisée, c'est avant tout parce que cet entre-deux-mondes - celui du théâtre et celui de l'opéra - qui en est l'objet, propre à Britten, y apparaît plus comme l'intersection de ces deux univers, et donc leur cumul, que comme leur synthèse.

P.R.