Paris, Hermann, 2019, 380 p., 35 €

Quinze ans après la parution chez Fayard du Chant intime, consacré à l'interprétation de la mélodie française, François Le Roux nous gratifie d'un nouvel ouvrage rédigé en collaboration avec Romain Raynaldy portant cette fois sur l'opéra français. Fort de son expérience scénique et de sa connaissance intime de ce répertoire, le baryton a voulu transmettre une partie de son vaste savoir non seulement aux chanteurs, mais aussi à tout mélomane fasciné par des œuvres aussi diverses que Tancrède (André Campra), Castor et Pollux, Carmen, Pelléas et Mélisande, Dialogues des carmélites ou Le Château des Carpathes (Philippe Hersant). Car bien plus qu'un manuel axé sur la seule technique vocale, son ouvrage constitue aussi une merveilleuse introduction à l'art lyrique français de Lully à Georges Bœuf (né en 1937).

Avec un enthousiasme communicatif, François Le Roux présente d'abord trois chapitres (« Aperçu historique et généralités », « Le livret » et « La typologie vocale »), suivis de l'étude de 25 opéras dans lesquels (à l'exception de La Voix humaine de Poulenc) il s'est déjà produit. Précédées de considérations historiques, littéraires et musicologiques, les analyses musicales portent sur un acte, quelques scènes ou un certain nombre d'airs. Grâce à ses commentaires d'une grande clarté (étayés de nombreux exemples musicaux), il sait guider les artistes dans leur quête stylistique et éclairer le simple amateur en ce qui regarde la spécificité du répertoire français. Il indique comment phraser certaines lignes mélodiques, de quelle façon prononcer des mots pouvant poser problème, quelles syllabes accentuer, à quel endroit respirer... Déplorant « un nivellement de l'interprétation » attribuable à l'internationalisation du chant, François Le Roux nous convie à une (re)découverte de cette véritable alchimie que le répertoire français opère entre paroles et musique. Afin de préserver cet héritage infiniment précieux, il incite les artistes à se mettre au service du compositeur, un peu à la façon, pourrait-on dire, de l'Adriana Lecouvreur de Cilea, qui se déclare « l'humble servante du Génie créateur ».

Empreint de cette humilité qu'il cherche à inspirer à ses collègues, Le Roux rend de vibrants hommages à ses maîtres, au premier rang desquels figure Simone Féjard (1911-2012), qui l'accompagna dans ses prises de rôle de Pelléas puis de Golaud. Sans surprise, eu égard à l'importance que l'opéra de Debussy a revêtu pendant la majeure partie de sa carrière, c'est Pelléas et Mélisande qui lui inspire le chapitre le plus étoffé et les pages peut-être les plus lumineuses. Mais, artiste désireux de toujours étendre davantage son répertoire, il défend avec une égale ardeur aussi bien Alceste de Lully que Faust de Gounod ou Madame de... de Jean-Michel Damase et semble avoir découvert avec autant d'émerveillement la musique de Gluck que celle de Berlioz, Alfred Bruneau, Ravel ou Darius Milhaud. Devant le soin apporté à l'ouvrage, on s'en veut presque de relever quelques détails un peu gênants. Ainsi, on s'étonne de retrouver avec des majuscules le genre « opéra-comique », qui ne doit pas être confondu avec l'institution de la place Boieldieu. Contrairement à qui est écrit en page 157, Adèle Isaac, Taskin et Pierre Grivot n'ont pas chanté Giulietta, Dapertutto et Pittichinaccio en 1881 car Léon Carvalho, directeur de l'Opéra-Comique, avait carrément supprimé l'acte de Venise au moment de la création des Contes d'Hoffmann. Enfin, comment ne pas sursauter en lisant que l'acte d'Olympia « souffre de longueurs, notamment dans l'air mécanique “Les oiseaux dans la charmille” » (p. 163) ? Malgré ces légères réserves, il convient de saluer la publication de cet ouvrage attachant qui s'apparente en quelque sorte à une Défense et Illustration de l'opéra français.

Louis Bilodeau