Arles, Actes Sud, 2018, 410 p., 29 €

Il avait signé plusieurs textes dans notre numéro spécial consacré à Olivier Py (L’Avant-Scène Opéra n° 275, 2013) : poursuivant sa réflexion sur l’opéra et la mise en scène, laquelle a déjà offert au lecteur nombre d’ouvrages de référence, l’élargissant comme à son habitude à la mesure d’une pensée socio-culturelle, Timothée Picard signe aujourd’hui un épais et dense volume entièrement consacré au metteur en scène, ayant de nouveau valeur d’ouvrage clé.

D’une part, on retrouve les qualités habituelles de l’auteur : une plume à la fois rigoureuse et légère, une rédaction dont la méthode (hyper-documentée) et le niveau (pointu) disparaissent derrière une langue souple et une structure claire. D’autre part, l’étude est systémique au point d’en paraître exhaustive : en neuf chapitres, Timothée Picard explore tous les aspects de son sujet, selon toutes les catégories d’analyse que peut convoquer cet étonnant auteur dramatique/romancier-metteur en scène/acteur-artiste engagé/catholique revendiqué-directeur de théâtre et de festival-homosexuel/chanteur travesti – qui se présente avant tout comme « poète ». La biographie et l’identité de Py, « homme-théâtre » ; sa métaphysique, sa poétique, son esthétique, sa pensée érotique, ses conceptions historiques, culturelles et (géo-)politiques : tout est passé au crible, à la lumière non seulement de l’œuvre écrite et du travail scénique, mais aussi des propos et des prises de position. Car si l’opéra constitue une énorme part du travail de Py metteur en scène, il n’est ici qu’un levier de réflexion (ou domaine d’activité, ou mode d’expression) parmi d’autres – le corpus global s’avérant autrement plus vaste et foisonnant, et constitué non seulement d’une œuvre artistique mais aussi d’une manière d’être au monde.

Avouant dans son avant-propos la résonance très personnelle que recèle son travail, l’auteur témoigne d’une connaissance complète et subtile de son sujet. L’admiration qui sous-tend l’énergie déployée à en réaliser une analyse quasi cosmogonique n’empêche pas les réserves devant certains aspects parfois problématiques, clairement identifiés (l’humour potache, la caricature de l’avant-garde, le risque de la redite ou de l’excès). Ceux que peut parfois rebuter l’esthétique ou la parole de Py trouveront néanmoins matière à mieux les mesurer et les comprendre ; les autres, déjà curieux de cet univers baroque et stimulant, en percevront le message complet, arborescent et touffu. Surtout, la capacité de Timothée Picard à en contextualiser les enjeux et à réfléchir au niveau civilisationnel rencontre l’ambition téléologique d’un homme qui, en pensant son théâtre, pense le monde et la société, la chair et la foi, jusqu’à une utopie salvatrice – celle de ces Planches de salut qu’annonce pertinemment le titre. « Œuvre utile », a-t-on envie d’ajouter – concernant cette fois le volume comme son objet.

Chantal Cazaux.