Arles, Actes Sud, 2018, 175 p., 32 €

Les 60 ans du Festival d’Aix-en-Provence avaient déjà été l’occasion d’une publication en 2008. Dix ans plus tard, les anniversaires se démultiplient : 70e édition du Festival, donc, mais aussi dernière du double mandat de Bernard Foccroulle à sa direction et 20 ans de l’Académie. Un nouveau volume, à mi-chemin entre beau livre iconographique et recension de témoignages, résume donc les 11 dernières années de la manifestation, rappelant la programmation de chaque édition mais mettant plus volontiers l’accent sur 18 productions emblématiques. Si le choix de ces dernières a dû être difficile, il n’en constitue pas moins la traduction pertinente des lignes d’horizon de la politique artistique singulière de Bernard Foccroulle. Tour d’horizon.

Dans la foulée un Ring amorcé par Stéphane Lissner, La Walkyrie (2007) inaugurait le tout nouveau Grand Théâtre de Provence, avec le faste des Berliner Philharmoniker dirigés par Simon Rattle ; la même année, De la maison des morts conjuguait audace programmatique (Janacek d’après Dostoïevski), excellence musicale (Pierre Boulez) et puissance théâtrale (Patrice Chéreau). L’année 2008 retient la controversée Zaide de Peter Sellars, dont la sensibilité artistique enrichie de réflexion sociale est chère à Foccroulle. 2010 est l’exemple de visions théâtrales fortes et pourtant hautement dissemblables : un Don Giovanni cinglant et catégorique, dû à Dmitri Tcherniakov, croise un Rossignol féerique et oriental, signé Robert Lepage. Visions d’artiste toujours, l’année suivante, pour assumer des projets inattendus à Aix… ou inattendus tout court, tels que Le Nez de Chostakovitch imaginé par William Kentridge ou la Traviata de Natalie Dessay. Les souvenirs de 2012 sonnent comme une ode à la création et à la transmission : coup de maître avec le chef-d’œuvre instantané que fut Written on Skin de George Benjamin, création « en continu » pour un Enfant et les Sortilèges sur mesure donné par l’Académie du Festival. Ceux de 2013 disent le cycle de la vie, de la mort, d’une éternité de l’art : Elena de Cavalli ressuscitée par Leonardo García Alarcón, Elektra devenue l’exultation ultime d’un Chéreau au plus haut de son travail et qui allait mourir peu après. Pierre Audi témoigne joliment de la Flûte de Simon McBurney (2014), symbole de la « synergie » et de la « passation » entre l’Opéra d’Amsterdam (où elle fut créée) et le Festival d’Aix-en-Provence (dont il prend désormais les commandes). 2015 marque le triomphe de l’opéra participatif Le Monstre du labyrinthe de Jonathan Dove, suivi en 2016 par l’opéra en français et en arabe Kalîla wa Dimna de Moneim Adwan : deux orientations très volontaires chez Bernard Foccroulle, et dont on attend beaucoup pour l’avenir. En 2016 toujours, musique et théâtre se rencontrent au sommet, avec Pelléas et Mélisande et Il trionfo del Tempo et del Disinganno : Salonen et Mitchell, Degout et Hannigan pour le premier ; Haïm et Warlikowski, Fagioli, Spyres, Devieilhe et Mingardo pour le second… L’an passé, enfin, rappelle l’accueil chaleureux que le public sut faire à une Carmen pourtant hautement inflammable, signée Tcherniakov, tout comme à une autre création propre à s’inscrire au répertoire – et signant la fidèle collaboration de Foccroulle avec Philippe Boesmans : Pinocchio.

En dépit d’une iconographie qui manque un rien d’éclat ou de spectaculaire pour rendre vraiment justice aux souvenirs que ces productions nous ont laissés, ce livre sait nous dire, au travers notamment des témoignages réunis ou des présentations réalisées par Louis Geisler et Alain Perroux, que tout cela fut une histoire humaine. L’artiste, les publics, la rencontre, le dialogue, la sensibilité, la confiance, le désir d’œuvrer ensemble : voici quelques mots clés pour appréhender une décennie généreuse toujours, audacieuse souvent, périlleuse parfois, visionnaire sans doute.

C.C.

Ne pouvant en rendre compte car en étant directement partie prenante, nous nous permettons de renvoyer le lecteur au second ouvrage publié simultanément dans lequel Bernard Foccroulle développe plus précisément sa réflexion sur l’opéra aujourd’hui et demain : Faire vivre l’opéra. Un art qui donne sens au monde (Arles, Actes Sud, 2018, 196 p., 20 €).