Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2016, 266 p., 15,40 €.

 

Dans notre n° 269 consacré en 2012 à Robert Carsen, qui constituait alors le premier volume intégralement voué au metteur en scène, Thierry Santurenne signait une étude thématique (« La femme selon Carsen ») et l'analyse de la mise en scène d'Armide (Théâtre des Champs-Elysées, 2008). C'est cette dernière production que l'on retrouve en couverture de l'ouvrage qu'il publie aujourd'hui, qui parachève une réflexion synthétique sur l'univers du Canadien.

L'auteur cerne en six temps le style carsénien - difficile à définir en ce qu'il se réinvente perpétuellement, mais toutefois préhensible par son refus du trash ou de la laideur, de toute « esthétique convulsive » ou de la « commotion visuelle », comme par une manière propre de traiter les grands enjeux de la mise en scène lyrique, articulée autour d'une grammaire visuelle cohérente (qu'Alain Perroux avait pointée pour L'ASO). Les « Principes d'un imaginaire » (I) sont l'occasion d'un panorama de carrière, d'une contextualisation des grandes influences subies par le jeune Carsen (marqué par Pirandello ou Le Songe d'une nuit d'été de Peter Brook, et surgissant sur la scène internationale après deux moments-clés, le Faust de Lavelli et le Ring de Chéreau) et de son art de l'emprunt ou du rapprochement, propice à le placer dans l'air du temps. « Les reflets de l'art » (II) rappelle les références esthétiques qui jalonnent son travail : la figure de l'artiste, souvent sollicitée ; l'arte povera et son rapport au matériau brut ; le cinéma, notamment Hitchcock et son regard psychique sur la féminité. « Accompagner le regard » (III) interroge la façon de Carsen de focaliser la pulsion scopique du spectateur par l'organisation d'images-clés (parfois spectaculaires), la gestion de l'espace (axes et perspective), la palette de couleurs et la « syntaxe claire » des corps s'y mouvant. « Esthétique de la matière » développe le rapport entre l'homme et la nature tel qu'il apparaît dans les différentes productions du metteur en scène, celui entre l'individu et son habitat (la réflexion sur le lit - mais pas seulement - occupe bien sûr ici un moment central), celui enfin entre le corps et son vêtement (et le cérémonial qui les lie). « Une anthropologie sensible » (V) ouvre la voie à une démarche moins analytique, plus diffuse mais permettant d'approcher un peu du mystère singulier de l'artiste : sa quête de sens et sa confiance en l'homme, résolument opposées au scepticisme généralisé qui tend à obscurcir certains courants de la mise en scène actuelle ; son rapport à la mort en scène, souvent évitée ; son attrait pour la psychanalyse et pour l'humour. « Théâtre du désir » (VI) garde pour la fin ce qui est à la fois caractéristique prégnante et clé de lecture du travail de Carsen : son goût pour la métathéâtralité, qu'elle soit inhérente à certains ouvrages ou qu'il s'agisse de l'insuffler en arrière-fond, permettant de glorifier tout ensemble acteurs et spectateurs, artifice théâtral et épiphanie de la représentation.

De cette conjonction de deux désirs (celui des artisans et celui du public) Thierry Santurenne fait la signature du théâtre carsénien - et la justification de ce que l'on pourrait appeler le « capital sympathie » du metteur en scène. Au bout d'une réflexion de belle ampleur, structurée dans un ouvrage dense et précis, et remarquablement illustré.

C.C.