Publications de l'Université de Saint-Étienne (2015), 229 p., 25 €.

Il ne se passe plus d'année désormais sans qu'une publication ne vienne témoigner de la diversité et de la qualité des recherches suscitées par la personnalité et l'œuvre de Massenet. Ce nouvel ouvrage collectif, fruit du colloque qui s'est tenu à Paris, à l'Opéra-Comique, le 8 décembre 2012, est consacré aux rapports du compositeur de Thaïs avec cette institution à laquelle, après La Grand'Tante (1867) et Don César de Bazan (1872) qui marquèrent ses débuts, il offrit des partitions aussi diverses que Manon (1884), Esclarmonde (1889), Le Portrait de Manon (1894), Sapho (1897), Cendrillon (1899) et Grisélidis (1901). En outre, Werther créé à Vienne, La Navarraise créée à Londres, Le Jongleur de Notre-Dame, Chérubin, Thérèse et Don Quichotte dont l'Opéra de Monte-Carlo eut la primeur, ont poursuivi leur  carrière à la Salle Favart.

L'article de Florence Gétreau « Eugène Grasset, illustrateur de Jules Massenet : un "art nouveau" » attire l'œil immédiatement, rehaussé qu'il est de superbes reproductions d'illustrations pour la partition d'Esclarmonde (et de dessins pour la lanterne magique) mises en regard d'affiches d'artistes d'un style nettement différent. Dans la mesure où cette collaboration, si brève qu'elle ait été, invite à situer Massenet et Grasset aux avant-postes de l'Art Nouveau, elle méritait d'être approfondie avec cette pertinence.

Passionnante aussi, la communication de Jonathan Parisi : « Massenet, metteur en scène à l'Opéra-Comique ? » Quelques témoignages avaient révélé la participation active de Massenet à la mise en scène de ses ouvrages. Il fallait rassembler, vérifier, choisir les traces écrites de ce qui fut l'une des préoccupations majeures du compositeur : sachant exactement, par exemple, combien de mesures sont nécessaire à la sortie d'un personnage selon son âge, son rang et l'urgence de la situation, il avait une conscience très aiguë du rapport entre la musique et l'action. En tête du livret de mise en scène de Sapho qu'il a rédigé, Massenet recommande : « Lire à haute voix, à chaque artiste, ce qui le concerne du point de vue de l'expression et du caractère à donner à [son] rôle. NB. Suivre mot à mot ce travail, comme s'il s'agissait d'apprendre ou de faire apprendre la musique d'une partition »

On comprend dès lors que certains chanteurs, plus que d'autres, aient donné pleine satisfaction à Massenet. Ainsi Lucien Fugère qui, ayant débuté au café-concert puis aux Bouffes-Parisiens, était le modèle du chanteur-acteur. La plume alerte et rigoureusement informée de Vincent Giroud en dresse un portrait complet. Après avoir créé le Des Grieux désabusé du Portrait de Manon, le tendre Pandolphe de Cendrillon puis le Diable grivois de Grisélidis, Fugère incarnera si bien Sancho que Massenet, avare en dédicaces, inscrira son nom sur la partition de Don Quichotte, pourtant écrite à l'intention de Chaliapine (qui la créa à Monte-Carlo) et dont Fugère ne fit que la reprise à la salle Favart... entre autres reprises : le Comte Des Grieux (Manon), Boniface (le Jongleur de Notre-Dame), le Philosophe (Chérubin).

Face à Fugère, unique, Lesley Wright titre en clin d'œil « Trois ténors pour Werther : Ernest van Dyck, Guillaume Ibos et Léon Beyle ». Car si le premier a assuré la création viennoise en 1892 avec un succès réel sinon absolu (on doute que Massenet ait été pleinement satisfait par son style vocal), Ibos ne put imposer l'ouvrage à l'Opéra-Comique et il fallut attendre Léon Beyle, en 1903, pour que Werther prenne son envol - cas unique, dans la carrière de Massenet, d'un ouvrage voué au succès et qui peina à trouver son rôle-titre.

« Vous chantiez, j'en suis fort aise, eh bien dansez maintenant ! » Certes on dansait davantage à Garnier qu'à Favart mais, du « ballet de l'Opéra » dont le financier Guillot croit pouvoir régaler Manon (1884) jusqu'au ballet-pantomime Cigale (1904), en passant par les épisodes chorégraphiques d'Esclarmonde, Cendrillon et Grisélidis, Massenet participa à l'évolution d'un théâtre qui se dépouillait d'une spécificité trop étroite. Albert Carré, qui en prit la direction en 1898, accéléra le mouvement en confiant la direction du modeste corps de ballet à Mme Mariquita - comme nous l'apprend Pauline Girard dans « Massenet, vingt ans de danse à l'Opéra-Comique 1884-1904 », un article qui, à commencer par l'évocation du rôle préalable de Louise Marquet, dévoile une mine d'informations de première main.

Les recherches menées par Emmanuel Reibel pour « La Grand'Tante au miroir de la presse » l'ont conduit, lui aussi, en terre inconnue ; le résultat reste naturellement plus circonscrit. À l'inverse, Catherine Massip, en évoquant « Manon et l'influence musicale du XVIIIe siècle », risquait de paraphraser ce qui a déjà été écrit ici ou là, essentiellement par Jean-Christophe Branger (Manon de Massenet ou le Crépuscule de l'opéra-comique, Metz, Serpenoise, 1999). Clair, synthétique et personnel, cet article, qui met l'accent sur la « couleur » rétrospective plus que sur d'improbables pastiches, bénéficie de la vaste culture classique de son auteur.

On finira par le texte passionnant de Jean-Christophe Branger (directeur de l'ouvrage avec Agnès Terrier) sur un poème symphonique méconnu : Visions. C'est la cerise sur le gâteau puisque son seul lien avec l'Opéra-Comique est d'anticiper l'inspiration de Thaïs... créée finalement à l'Opéra. Parmi les questions que pose cette partition, la présence d'un « électrophone ». Tout à la fois historique, esthétique et analytique, ce texte laisse espérer que la grande monographie de Massenet que nous doit Jean-Christophe Branger ne tardera plus désormais.

G.C.