Paris, éditions Actes Sud / Classica, 2014, 250 p. 18 €.


Comme le note Olivier Lexa lui-même en préambule, il était urgent de consacrer enfin une biographie à Francesco Cavalli (1602-1676), le Puccini du XVIIe siècle, l'un des compositeurs les plus fêtés de son temps et les mieux ré-acclimatés au nôtre (au moins depuis l'exhumation de L'Ormindo et de La Calisto par Raymond Leppard, dans les années 1970). En quelque langue que ce soit, les monographies qui lui étaient jusqu'ici dédiées restaient fort rares, même si d'illustres précurseurs tels Romain Rolland et Henry Prunières (assez largement sollicité ici) avaient, dès le début du XXe siècle, soupçonné son importance. Voilà donc une lacune comblée et de bien belle façon, avec ce petit livre dense mais alerte, jamais pédant malgré les très nombreuses informations qu'il délivre, divisé (de façon un peu arbitraire) en « un Prologue et trois actes », pour coller à son sujet.

On y apprend bien des choses sur l'existence de ce Pier Francesco Caletti-Bruni né à Crema, vite remarqué pour sa jolie voix d'enfant et transporté à Venise par son protecteur, le patricien Federico Cavalli, dont il empruntera le nom et aux enfants duquel il léguera son riche patrimoine. On découvre sa passion juvénile pour le jeu, son talent précoce, ses débuts dans la Sérénissime sous la férule de Monteverdi, sa vie d' « homme heureux » auprès d'une « épouse parfaite », musicienne et copiste accomplie, ses préférences de musicien, son flair d'imprésario, ses ruses d'homme d'affaire (joutant notamment à fleurets mouchetés avec le grand Mazarin), sa modestie d'artisan et son aptitude à former des disciples. On explore ses trente-trois ouvrages lyriques, dont certains (Giasone, L'Eritrea, Ercole amante, Eliogabalo : de la consécration au désamour, le premier ayant été plébiscité par l'Europe, le dernier refusé par ses commanditaires !) ont droit à des focus détaillés. Librettistes (Busenello, Faustini, Minato), sources littéraires, formes musicales, modalités de représentation ne sont pas oubliés, pas plus que la riche faune (héros velléitaires, duègnes nymphomanes, dieux vindicatifs, valets insolents, magiciennes torturées) qui peuple son univers lyrique. Dans la foulée, on arpente cette Venise fébrile du XVIIe, avec sa passion pour le loto, les intrigues, l'opéra, son anti-conformisme clérical et son œcuménisme culturel (malgré ses obsessions anti-turques !). On jette un œil dans les coulisses et les boutiques des théâtres, dans l'atelier du compositeur (qui, la gloire venue, doit déléguer certaines tâches) et dans les comptes des entrepreneurs, férus de nouveautés mais pas moins près de leurs sous...

Fondateur et directeur artistique du Venetian Center for Baroque Music, résident de la Lagune, auteur, déjà, d'un précieux Venise, l'éveil du baroque (Karéline, 2011), metteur en scène (cette année) de la cavalienne Eritrea, Olivier Lexa sait de quoi il parle et le fait avec chaleur (en abusant un peu des « comme nous le verrons »...). Dommage que les contraintes de pagination d'une collection par ailleurs inégale ne lui laissent pas davantage le loisir de s'épancher - qu'importe, la voie est ouverte : sur Cavalli, si l'on ne sait pas tout, l'on a beaucoup entrevu !

O.R.