Irina Arkhipova (Jeanne d'Arc), Evgeny Vladimirov (Thibaut d'Arc), Andreï Sokolov (Raymond), Vladimir Makhov (Charles VII), Vladimir Valaitis (Dunois), Sergey Yakovenko (Lionel), Lev Vernigora (l'Archevêque), Klavdia Radichtcheko (Agnès Sorel). Chœur et orchestre de la RTV d'URSS, dir. Guennadi Rojdestvenski (1969).
CD Melodia 1002053. Distr. Codaex.

Jeanne d'Arc, objet de la plus forte émotion d'enfance de Tchaïkovski, lui a inspiré en 1879 un des rares opéras russes sur un sujet non national, hérité en droite ligne du grand opéra à la française - et très verdien tant par le sujet (Giovanna d'Arco !) que par un certain nombre de mélodies très italianisantes. Partiellement basée sur la pièce de Schiller mais conservant le dénouement conforme à la réalité historique (et non la mort sur le champ de bataille, inventée par le dramaturge allemand et conservée par Verdi !), cette partition, assurément inégale et trop copieuse (presque 3 heures de durée), est souvent boudée, car ne correspondant pas à l'image subjectivement pathétique et nationaliste du compositeur. Elle mérite cependant mieux que le semi-oubli et les rarissimes représentations en dehors de son pays. On en possède aujourd'hui deux intégrales discographiques, un premier enregistrement effectué en 1946 sous la direction de B. Khaïkine et réédité dans de cadre de la monumentale Tchaikovsky Edition en 60 CD parue l'année dernière chez Brilliant Classics, et cette version de Guennadi Rojdestvenski datant de 1969, qui est longtemps restée la seule disponible en LP sous le label Le Chant du Monde.

Le chef, dont l'action au profit des œuvres laissées en arrière-plan ne sera jamais trop louée, avait rendu hommage aux autres opéras « secondaires » de Tchaïkovski, L'Opritchnik et Tcherevitchki dont nous avons rendu compte dernièrement (cf. L'ASO n° 274), et si nous avions alors émis quelques doutes sur sa capacité à maintenir une attention constante, ici cette réserve n'est plus de mise, et les épisodes symphoniques notamment sont à la pointe de la baguette ! De plus, il est entouré ici d'un plateau d'artistes qui rassemble les plus grandes voix du Bolchoï de l'époque, dominé par Irina Arkhipova, une Jeanne de choc, guerrière assurément, héroïne du peuple (soviétique ?), charismatique plus qu'humaine. Vladimir Valaitis en Dunois, remarquable de dignité, Lev Vernigora compose un Archevêque tout en majesté, et Sergey Yakovenko en Lionel allie virilité juvénile et noblesse. Seule réticence, Evgeny Vladimirov, Thibaut d'Arc à la voix fortement bougée. Mais on ne s'arrêtera pas là-dessus : pas de coupures, version intégrale, y compris le vaste divertissement du IIe acte, point toujours passionnant en soi mais que la verve de Rojdestvenski fait passer, et des chœurs somptueux... Cet opéra n'est pas de ceux qui sont destinés à connaître des dizaines de versions discographiques, et on a là certainement ce que l'on peut souhaiter de mieux.

A.L.