Topi Lehtipuu (Catone), Roberta Mameli (Cesare), Ann Hallenberg (Emilia), Sonia Prina (Marzia), Romina Basso (Fulvio), Emoke Baràth (Arbace). Il Complesso barocco, dir. Alan Curtis (2012).
CD Naïve Op 30545. Distr. Naïve.

Ouvrage tardif écrit pour Vérone, ce Catone in Utica (1737) lointainement inspiré de Métastase nous est parvenu amputé de son premier acte : dans son enregistrement pionnier (Erato, 1986), Scimone s'en passait carrément, tandis que Malgoire, capté en direct (Dynamic 2002), le reconstituait en empruntant à d'autres opéras. Pour cette nouvelle version, le violoniste et musicologue Alessandro Ciccolini est allé, lui, encore plus loin : il a carrément composé les récits et six des sept airs de l'acte I (le septième ayant été retrouvé), à partir de ritournelles de concertos ou autres fragments vivaldiens. Pour autant qu'on en puisse juger, cette restitution s'avère fort convaincante, bien qu'elle ne compense qu'à moitié le caractère un peu chiche d'une partition comptant moins de vingt morceaux (une heure et demie sur 3 CD...).

Hélas, pour emporter l'adhésion, il eût ici fallu un autre chef qu'Alan Curtis, qui enregistre infiniment trop vite et sans conviction apparente des œuvres dont la beauté ne s'impose qu'à condition de les investir affectivement. A la tête d'un orchestre paresseux, Curtis semble ne jamais savoir quel caractère donner à des arias souvent très développées, ni souligner la théâtralité des récitatifs, sobrement harmonisés (fade entrée d'Emilia, terne affrontement des deux Généraux). C'est d'autant plus dommage qu'il dispose d'une distribution adéquate.

Certes, l'élégant Lehtipuu manque un peu d'étoffe pour camper le « père de Rome », certes Basso nous irrite toujours autant avec ses « r » poitrinés, certes, le timbre de Baràth sonne assez métallique et celui de Prina assez rogue - mais toutes ces belles voix font montre d'une diction impeccable, d'une virtuosité appréciable et d'un style sans tache.

Ce sont les deux parties principales - celles de Jules César et de son implacable ennemie, la veuve de Pompée - qui rendent évidentes les limites et qualités de cet enregistrement. Etourdissante technicienne, longue voix tendre et ductile, Hallenberg chante comme un ange un rôle démoniaque, à tous les sens du terme : on reste tétanisé par la performance mais on a souvent l'impression d'assister à la leçon de chant de Rosine. Où est la rage de la dame, que veut-elle exprimer dans « O nel sen di qualche stella » ? Mystère. Quant à l'exécution des ornements et cadences très (trop) écrits par Ciccolini, elle n'arrange rien. A l'inverse, Mameli ne dispose pas encore de l'endurance et de la précision nécessaires à son long rôle de castrat - les échelles « savonnées » ou les graves creux de « Se in campo armato » en témoignent. Mais que de couleurs, d'inflexions et d'émotions passent dans « Vaga sei » ou dans l'ineffable « Se mai senti » (très différent ici de l'iridescente rêverie tramée autrefois par Gasdia) ! Et l'on comprend alors qu'avec un chef capable d'enflammer également tous ses chanteurs, cette bonne version aurait pu devenir une référence...

O.R.