Pascal Charbonneau (David), Ana Quintans (Jonathas), Neal Davies (Saül), Frédéric Caton (Abner), Kresimir Spicer (Joabel), Dominique Visse (la Pythonisse), Pierre Bessière (Samuel). Les Arts Florissants, dir. William Christie ; mise en scène: Andreas Homoki (Aix-en-Provence 2012).
DVD Bel Air 093. Distr. Harmonia Mundi.

Créée au Collège Louis-le-Grand, à Paris, en 1688, la tragédie en musique David et Jonathas n'est pas un « véritable opéra » au sens où on l'entend aujourd'hui : ses cinq actes et son prologue s'intercalaient entre ceux d'une pièce en latin, Saül, qui développait l'intrigue biblique. A l'action rejetée en coulisses, l'œuvre de Charpentier offre une succession de six intermèdes, ou, si l'on veut faire le parallèle avec l'oratorio, six « contemplations », semblables aux strophes chorales du théâtre antique. Pauvres en récitatif mais prodigues en airs, chœurs et ballets, ces tableaux richement instrumentés se démarquent du style de Lully - lequel vient d'ailleurs de mourir, laissant son malheureux rival développer sa propre veine. Ajoutons que la partition, destinée à un établissement jésuite, ne faisait originellement appel qu'à des hommes ou de jeunes garçons.

Autant d'obstacles, a priori, à une mise en scène, qu'Andreas Homoki contourne brillamment, sans céder à la tentation de la transposition à tous crins : si les costumes contemporains, keffiehs et turbans peuvent évoquer quelque Moyen-Orient déchiré par les conflits religieux, ils évoquent tout autant les Balkans du siècle dernier, voire la Corse ou la Sardaigne. L'élégant décor abstrait - la boîte en bois clair de l'Archevêché d'Aix - se module et divise au fil de (trop nombreux, peut-être) fondus au noir, focalisant l'attention sur l'action intérieure : le jaloux Joabel est soudain enfermé dans une chambre, condamné à écouter les réjouissances se déroulant dans une autre, tandis que Saül, en proie au délire, voit les cellules se multiplier, diffractant à l'infini l'image de ses remords (celle de sa défunte femme). Cette scène, durant laquelle la Pythonisse prend les traits grimaçants de l'épouse, servait, à l'origine, de Prologue à l'opéra : habilement transférée au centre de la pièce, elle est traitée comme une séquence de fantôme nippone, d'une formidable efficacité, qui éclaire d'un jour nouveau les rapports entre les protagonistes. Tandis que, durant les nombreuses « symphonies », des flashbacks représentant les jeux et la vie familiale de deux enfants (les David et Jonathas d'antan) servent de contrepoint au drame qui se noue... Du dispositif scénique à la direction d'acteurs, soulignant sans excès les enjeux homo-érotiques (Joabel épris de David qui aime Jonathas), tout fonctionne avec fluidité, la direction colorée et chaleureuse de Christie, à la tête d'Arts Florissants très en verve (et en grande formation), assurant la cohésion de cette vision.

Hélas, la distribution ne participe que de loin à cette réussite et, captée en plein air, accuse de nombreux défauts de justesse : radieuse dans les récits, Ana Quintans se fait acide dans les airs ; expressif et engagé, Neal Davies affiche un timbre trop sec, au bas registre écrasé ; tandis que Kresimir Spicer, au contraire, peine dans l'aigu. La plus grande déception vient de la frêle haute-contre Pascal Charbonneau, David scéniquement convaincant mais à l'émission droite et nasillarde. D'un point de vue vocal, cette production nous rappelle la mauvaise réputation traînée par le chant français (le urlo francese) à l'âge baroque ; elle est, pour le reste, exemplaire.

O.R.