Cassandre Berthon (Vita), Ludovic Tézier (l'Étranger), Marius Brenciu (André), Nona Javakhidze (la Mère). Chœur de Radio France, Orchestre national de Montpellier Languedoc-Roussillon, dir. Lawrence Foster (live 2010).
CD Accord 4810078. Distr. Universal.

Pour sortir des brumes wagnériennes de Fervaal, avant même sa création, Vincent d'Indy a voulu composer une « action musicale » plus légère en s'inspirant, pour le poème, d'un drame d'Ibsen et d'une aventure vécue fédérés par le souvenir de la légende du Hollandais volant. Créé à La Monnaie de Bruxelles, puis à l'Opéra de Paris en 1903, L'Étranger fit l'unanimité jusqu'à séduire Debussy malgré « ce besoin de tout expliquer, tout souligner qui alourdit parfois les scènes les plus belles ». À la reprise, en 1916, se firent jour des critiques concentrées sur le livret « ambitieusement inintelligible, maladroit, amalgamant symbole et réalité en des discours d'une puérilité déconcertante… Déclamation grandiloquente ponctuée d'emphatiques élans, de silences aux visées obstinément profondes ou sublimes » selon Marnold. En 1934, Reynaldo Hahn émit des réserves, un peu excessives, sur la partition : « aucun plaisir n'y est admis en dehors de ceux où participent seuls l'entendement et la foi. Au cours de ces deux actes sombres qui se déroulent sur une trame musicale aux mailles inextricables, faite de thèmes sévères et perpétuellement travaillés, […] pas un sourire n'apparaît, pas un moment de relâche n'est consenti, pas une souplesse, pas un abandon de langage ne vient décontracter, fût-ce pendant quelques secondes, l'effort du cerveau tendu à éclater ». En 1952, l'Opéra de Paris donnait la 39e représentation, un chiffre modeste mais que pourraient envier bien des ouvrages tenus hors du répertoire. Il faut donc croire que L'Étranger n'est pas sans qualités, et c'est ce qu'a prouvé la reprise en concert, au Festival de Radio France et Montpellier, dont témoigne cet enregistrement. L'avantage du disque sur la représentation (plutôt problématique) c'est qu'on peut réécouter la musique et se familiariser avec des singularités déconcertantes au premier abord. Pour s'y attacher ensuite, découvrir l'efficacité expressive des métamorphoses thématiques et apprécier une netteté de conception qui délie les complications de leur gangue. Si l'écriture vocale est exigeante, en tension perpétuelle, elle n'est pas ingrate. Il faut souligner la qualité des prestations de Cassandre Berthon, de Ludovic Tézier et de Marius Brenciu, habités par leur personnage. Ils partagent avec les seconds rôles, plus inégaux, un rare souci de diction. La direction de Laurence Foster excelle à faire ressortir le sens dramatique et musical d'une partition dont les recherches de simplicité ou de complexité tour à tour semblent inconciliables. Une œuvre forte et qui ne méritait pas l'oubli.

G.C.