Ann Murray (Giulio Cesare), Susan Gritton (Cleopatra), Christopher Robson (Tolomeo), Katarina Karnéus (Sesto), Patricia Bardon (Cornelia), Marcello Lippi (Achilla), Axel Köhler (Nireno), Jan Zinkler (Curio). Orchestre de la Bayerischer Staatsoper, dir. Ivor Bolton.
CD Farao Classics B 108090. Distr. Integral.
Marie-Nicole Lemieux (Giulio Cesare), Karina Gauvin (Cleopatra), Romina Basso (Cornelia), Emöke Barath (Sesto), Filippo Mineccia (Tolomeo), Johannes Weisser (Achilla), Milena Storti (Nireno), Gianluca Buratto (Curio). Il complesso barocco, dir. Alan Curtis.
CD Naïve (3 CD) OP 30536. Distr. Naïve.

Il y a 19 ans, la nouvelle production de Jules César à Munich avait sans doute des atouts. La nouveauté de la proposition scénique de Richard Jones, emblématique d'un théâtre de régie en pleine croissance et qui prendrait ses quartiers à Munich avec un autre chantre du baroque revisité, David Alden ; la direction d'un quasi-inconnu, Ivor Bolton, baroquisant les sonorités de l'orchestre romantique maison ; et une distribution mixte anglaise et allemande : c'était bien du neuf, et du révolutionnaire localement. Huit ans plus tard, l'image est absente de cet enregistrement live, la direction de Bolton reste respectable dans son engagement mais par trop épaisse (on est à la Staatsoper, dont il faut remplir le volume), les survivants de la distribution anglaise initiale (Murray, Robson) sont tout simplement usés jusqu'à la corde et, parmi les nouveaux solistes, seule Patricia Bardon surnage vraiment, pour composer une superbe Cornelia. La discographie, marquée déjà à l'époque par la version Jacobs, s'est entretemps enrichie des versions Minkowski et Petrou, autrement palpitantes. Rideau donc sur cette parution bien inutile.

Le cas de la version studio de Naïve est autre. Un chef qu'on sait aimé de ses interprètes car solide et fiable, et peu enclin à les bousculer, mais qui vous rend le propos haendélien automatiquement ennuyeux à l'écoute, une distribution alignant des spécialistes reconnus. On vogue de toute façon sur un tout autre rang qu'avec Bolton – authenticité de l'orchestre, et équipe vocale de haut niveau. Et l'on est heureux de constater pour une fois qu'Alan Curtis ne ruine pas le projet par une battue trop convenue. Elle est ici vaillante, enlevée souvent, parfois surprenante et novatrice dans son allant, comme pour « Belle dee », poétique aussi. Mais il ne propose rien qui fouille le texte et sollicite la matière instrumentale, hors un fort élégant travail sonore pas toujours très coloré et varié. Un résultat global aussi positif est trop rare chez lui pour ne pas être souligné. Mais assurément il lui manque aussi le rôle d'inspirateur pour transformer d'excellents chanteurs en personnages irrésistibles, et on parle ici de chant comme d'incarnation. Seule Romina Basso, Tolemeo vipérin et ombreux chez Petrou, est ici une magnifique Cornelia, impressionnante, prenante dans le déchirement, dans la dignité plus encore, vraie matrone romaine, montrant un instrument d'une étendue de souffle, d'une subtilité de colorations de plus en plus majuscule. Karina Gauvin, sans avoir la même variété vocale, est une délicieuse Cléopâtre, un peu trop épaisse de timbre mais capable de l'adapter à toute la variété requise pour ce rôle des rôles de soprano haendélien, sans toutefois caractériser pleinement chacun de ses airs : là est l'évidence de l'absence d'un chef inspirateur et guide inspiré lui-même. Problématique plus marquée encore avec le César de Marie-Nicole Lemieux : l'artiste ne manque bien entendu pas de personnalité, l'instrument est incontestable même si les vocalises sont assez lourdes. Mais Curtis lui a laissé exagérer l'expression (« Quel torrente ») ou n'a pas su lui inspirer un « Va tacito » plus piquant, et certains airs demanderaient un peu plus d'investissement tant ils semblent en rester au vernis de l'expression, et non aller à la vérité du sentiment. Le choix d'un soprano pour Sesto est assez défendable sur le plan historique, mais le résultat manque de consistance – et de graves – avec la très jolie voix de Emöke Barath, et tout autant de personnalité. Ni le Tolomeo de Filippo Mineccia, ni l'Achilla de Johannes Weisser, ni le Nireno de Milena Storti ne sont marquants, ni indignes. Bref, si l'ensemble est globalement plus réussi que son détail, cette version Curtis ne prend la place ni de la référence Minkowski, ni du bouillonnement de celle de Petrou, mais s'inscrit plus qu'honorablement dans le peloton de tête des versions tendant au mieux à l'authenticité de ce chef-d'œuvre qu'est Giulio Cesare.

P.F.