Tom Sol (baryton), Nicola Wemyss (soprano). Musica ad Rhenum, dir. Jed Wentz (2006).
CD Brilliant Classics 94600. Distr. Abeille Musique.

Exemple d'humour haendélien : à la fin d'Alcina (1735), les chevaliers métamorphosés par la sorcière reprennent forme humaine au son d'un chœur dansant en sol mineur ; c'est sur cette même mélodie que se clôt la cantate Apollo e Dafne, mais dans le cadre d'un air déplorant… la métamorphose de Daphné en laurier ! Lorsque le Saxon remployait ses propres morceaux, il en sublimait toujours la signification originale. Et la formidable inventivité dont il fit preuve durant ses années italiennes (1706-1710) lui permit de se constituer un ample vivier d'idées musicales… L'un des plus beaux fleurons de cette époque reste la longue cantate La terra è liberata ! (sous-titrée Apollon et Daphné), sans doute esquissée dès 1706 mais achevée après le (temporaire) retour du musicien à Hanovre, en 1710, si l'on en juge par son instrumentation qui fait la part belle au trio « à la française » des hautbois et basson, peu usité en Italie. Extrêmement virtuose pour les instruments comme pour les voix, l'œuvre est aussi théâtrale (étonnante interruption de l'air « Mie piante correte ») que pétrie d'ironie et de détails rhétoriques. Elle a logiquement inspiré un certain nombre d'enregistrements – dont les incarnations de Fischer-Dieskau (Archiv) et Hampson (avec Harnoncourt, Teldec). Musica ad Rhenum fait face à la concurrence avec (trop) de modestie : l'ensemble instrumental sonne joliment, soigne ses phrasés (surtout dans la musique de scène pour L'Alchimiste de Ben Jonson, qui sert d'ouverture) ainsi que l'ornementation (ravissante entrée de Daphné), mais manque par trop d'expressivité et de fièvre pour servir le drame. Surtout, les deux solistes ne possèdent pas la démesure exigée par leurs parties : le timbre gris et mal projeté de la soprano Nicola Wemyss (nimbé, en outre, d'une désagréable réverbération) n'évoque guère la plus belle nymphe de Diane, et si Tom Sol fait preuve d'application et de vélocité, sa voix s'avère trop mince pour camper ce matamore d'Apollon. On restera donc fidèle à la meilleure version « d'attente », celle de Bernard Labadie (avec la radieuse Karina Gauvin, chez Dorian).

O.R.