Eva Juarez (Jupiter), Camilla de Falleiro (Hercules), Anna Freivogel (Minerva), Maria Weiss (Palante). A Corte Musical, dir. Rogério Gonçalves (2012).
CD Pan Classics 10 276. Distr. Abeille Musique.

De Sebastian Duron (1660-1716), l'un des précurseurs de l'art lyrique ibère avec Antonio de Literes et Cristobal Galan, Eduardo Lopez Banzo nous avait fait découvrir divers villancicos et tonos (notamment dans sa série Barroco espagnol, chez DHM). Mais c'est la première fois, à notre connaissance, que paraît au disque l'intégrale de l'une de ses opéras escénicas. Créée à Madrid en 1702, à l'orée de la Guerre de Succession d'Espagne, cette sérénade en un prologue et six scènes mérite-t-elle vraiment le titre d'« opéra » ? Moins encore, sans doute, que les essais peu antérieurs d'un Blow, d'un Purcell, ou que les pastorales d'un Charpentier et d'un Clérambault. Texte et partition apparaissent ici corsetés par le formalisme d'une musique d'origine populaire qui ne connaît guère qu'une structure, celle de la tonada, sorte de cantate divisée en couplets (coplas) et refrain (estribillo, souvent choral), inapte au développement d'une action. De fait, le vaste prologue en six mouvements lasse vite, avec sa succession de chants syllabiques au rythme syncopé, dépourvus d'enjeu théâtral. Peu à peu, néanmoins, se profilent les influences d'écoles plus dramatiques : les trépidants mélismes de la trompette, imités par les voix, ne rappellent-ils pas l'art d'un Melani ou d'un Scarlatti ? Tout comme l'alacrité soudaine des violons s'émancipant de la basse obstinée pour l'apparition de Jupiter ? De leur côté, les fréquents menuets évoquent la pompe française (la patrie du nouveau roi Philippe V, contre lequel se sont ligués les méchants « géants » européens). Et, quand, enfin, s'entonne l'unique récitatif de l'œuvre (scène de Minerve et Jupiter) suivi d'un beau chœur « en écho », et que le titan Palante (= l'Archiduc d'Autriche) expire sur de sombres trémolos préfigurant la mort de l'haendélienne Sémélé, l'on entraperçoit cet opéra baroque espagnol qui culminera avec José de Nebra. L'interprétation efficace d'A Corte Musical ne laisse échapper aucun de ces changements de climats, soulignés par une instrumentation judicieuse (emploi ponctuel des percussions, mariage séraphique de la harpe et du théorbe). La modestie des effectifs (une quinzaine de musiciens) se voit compensée par la virtuosité des solistes – Martin Mühringer à la trompette, notamment. On n'en dira pas autant des voix – les deux sopranos et deux mezzos (qui, selon l'usage de la zarzuela, se partagent tous les rôles) pâtissant d'une émission souvent coincée entre le nez et les dents. Eva Juarez et Maria Weiss chantent certes moins droit, plus juste et de façon plus expressive que leurs collègues, mais c'est tout de même la dimension vocale qu'A Corte Musical devra améliorer s'il veut s'attaquer à la scène…

O.R.