Emma Pearson (Semele), Amitai Pati (Jupiter/Apollon), Sarah Castle (Junon/Ino), Paul Whelan (Cadmus/Somnus), Stephen Diaz (Athamas), Chelsea Dolman (Iris), Sashe Angelovski (un prêtre). Orchestre et chœur baroques de l'Opéra de Nouvelle-Zélande et chœur de la cathédrale Holy Trinity d'Auckland, direction : Peter Walls, mise en scène : Thomas de Mallet Burgess et Jacqueline Coats (29 septembre 2021).
Opus Arte OABD7309D. Aucune note ni synopsis ; sous-titres anglais. Distr. DistrArt Musique.
 
Particulièrement réjouissante et quelque peu irrévérencieuse, cette Semele en provenance de Nouvelle-Zélande laisse d'abord dubitatif. Le début de l'ouverture est en effet parasité par le vrombissement de la moto de Jupiter, qui file à toute allure vers une église, plus précisément la cathédrale anglicane Sainte-Trinité d'Auckland (consacrée en 1973), où a été filmée la représentation. Choristes et figurants tirés à quatre épingles pavoisent sur le parvis avant de faire leur entrée exubérante afin d'assister à la cérémonie de mariage de Semele et d'Athamas qui doit se dérouler dans le temple de Junon. Devant cette agitation excessive et face à la médiocrité du premier soliste (le prêtre de Sashe Angelovski), on pourrait être tenté de juger sévèrement cette version et même d'en cesser le visionnage, d'autant plus que l'acoustique réverbérée des lieux nécessite le recours à l'amplification des voix. Cela serait pourtant fort dommage, car les nombreuses qualités de la production l'emportent clairement sur ses défauts. À cet égard, il faut en un premier temps noter l'excellence de l'Orchestre baroque de l'Opéra de Nouvelle-Zélande et de son chef Peter Walls, qui, placés derrière l'autel, savent constamment trouver le tempo juste et le parfait équilibre entre les diverses sections. Les sons capiteux des bois et la souplesse des cordes font merveille dans une exécution à la fois débordante de vie et d'une grande élégance, qui nous fait pleinement participer à une action alternant entre atmosphères empreintes aussi bien de sensualité que d'exaltation religieuse et d'ironie assez mordante. Outre les coupures habituelles (air de l'alouette de Semele et « Hymen, haste » d'Athamas), le chef supprime trois airs, choix que l'on pourra certes regretter : le chœur des Amours et des Zéphyrs (« Now Love that everlasting boy invites »), l'air d'Ino (« But hark ! the heav'nly sphere turns round ») et l'air de Semele au troisième acte (« Thus let my thanks be paid »).
 
Très à l'aise scéniquement, Emma Pearson est une Semele on ne peut plus crédible dans sa passion pour le roi des dieux. Il n'est pour s'en persuader que de la voir arracher avec empressement la partie inférieure de sa robe de mariée pour ensuite courir à toute allure dans l'allée afin de sauter littéralement sur son amoureux... Sans égaler la séduction vocale et la virtuosité d'une Kathleen Battle (DG, 1990), elle possède suffisamment d'agilité et de tempérament pour rendre justice à son personnage et faire pardonner quelques notes aiguës légèrement acidulées. Elle se montre peut-être à son meilleur à la toute fin du premier acte, dans un jubilatoire « Endless pleasure, endless love » entonné d'un jubé situé en haut du chœur. Son agonie, après avoir contemplé son amant dans toute sa splendeur, révèle enfin la polyvalence de ses dons d'actrice. Le Jupiter d'Amitai Pati, frère de Pene Pati, s'avère tout simplement extraordinaire grâce à un merveilleux sens du phrasé, une longueur de souffle étonnante et un timbre magnifique. Le pouvoir envoûtant qui se dégage de son « Come to my arms » atteint ici au sommet de la suavité. De même qu'à la création à Covent Garden en 1744, les rôles de Junon et d'Ino sont confiés à une seule chanteuse. En plus de rendre convaincantes ses métamorphoses, Sarah Castle fait entendre un riche timbre de mezzo qui se plie bien aux épanchements de la tendre Ino et aux fureurs de l'épouse dévorée par la jalousie. Les vocalises de « Hence, Iris, hence away » manquent peut-être de précision, mais quelle volonté et quelle ardeur dans ce chant ! Sa messagère Iris trouve en Chelsea Dolman une interprète au joli timbre de soprano doublée d'un talent évident pour la comédie. Cadmus d'une autorité bienveillante, Paul Whelan est aussi un Somnus raffiné, quoique limité dans le grave. Pour sa part, le contre-ténor Stephen Diaz, desservi par une voix aux couleurs aigrelettes, déçoit en Athamas. D'une vaillance admirable, le chœur se coule avec délectation dans la partition de Haendel, jusqu'à un « Happy, happy » final aux accents triomphants.
 
Devant composer avec un espace scénique inusité, Thomas de Mallet Burgess et Jacqueline Coats ont su utiliser au maximum les différentes parties de la cathédrale (parvis, vestibule, allées, jubés et chœur), où évoluent les personnages. Après avoir tiré profit de l'autel, des cierges et autres objets qui servent au culte, les metteurs en scène « désacralisent » allègrement la cathédrale en installant devant l'autel un immense lit où se prélassent les adorateurs de Vénus. Se trouve ainsi ajoutée à l'intrigue une dimension iconoclaste très intéressante. Le traitement des chœurs s'avère quant à lui éblouissant : pleins de componction dans les pages religieuses, ils communient avec une joie contagieuse à l'extase de Semele, puis exultent finalement en évoquant la future naissance de Bacchus. Sans constituer une version de référence, cette captation offre en somme une alternative originale et fantaisiste à celle réalisée à Zurich en 2007 dans la mise en scène de Robert Carsen (Decca) et à la version semi-scénique de John Eliot Gardiner filmée à Londres en 2019 (EuroArts).

Louis Bilodeau