Véronique Gens (Circé), Mathias Vidal (Ulysse), Caroline Mutel (Astérie, Minerve), Cécile Achille (Eolie), Romain Bockler (Polite, Phantase), Nicolas Courjal (Elphénor), Les Nouveaux Caractères, dir. Sébastien d’Hérin.
Château de Versailles Spectacles CVS 085 (2 CD). 2022. Notice en français. Distr. Outhere.
 
Lully, de son vivant, était le seul à pouvoir composer des opéras pour l’Académie royale de musique ; après sa mort, en 1687, ce privilège tomba et les concurrents, parmi lesquels son fils Louis, Marin Marais, Marc-Antoine Charpentier et Henry Desmarest (1661-1741) entrèrent en lice. En 1693, la Didon de Desmarest triompha de la Médée de Charpentier. On commanda donc au premier un autre ouvrage pour l’année suivante, à nouveau consacré à une puissante figure de femme abandonnée : Circé.
 
Regrettons que le livret ait été confié à la malhabile Madame de Saintonge, dont le drame dépourvu de centre dramatique s’étiole au profit de personnages inutiles (le trio formé par Astérie, Elphénor et Polite) tout en négligeant le protagoniste, un Ulysse des plus fades. La musique de Desmarest s’avère en revanche d’une grande densité, le compositeur s’ingéniant à animer ce texte prolixe par une multitude de « petits airs », de récits accompagnés, de phrases mélodiques – sans manifester beaucoup d’originalité dans les scènes de magie (sommeil imité de celui d’Atys, invocation infernale empruntée à Médée, fantôme venu d’Amadis…).
 
La lecture des Nouveaux caractères n’aide guère à «hiérarchiser» une partition peut-être trop écrite et traitée avec un trop constant lyrisme : le geste assez large de d’Hérin privilégie le mouvement d’ensemble sur les détails tandis que son continuo (clavecin et, surtout, basses d’archet) se montre bavard et l’orchestre parfois confus. Certains moments-clefs passent ainsi inaperçus (la transformation des compagnons d’Ulysse, à l’acte I), sans qu’on sache s’il faut l’attribuer au compositeur ou aux interprètes. Mais d’autres, comme les duos, intenses, ou la frappante entrée d’Eolie en forme de chaconne, touchent juste.
 
La distribution féminine, hélas, peine à convaincre : Mutel apparaît plus trémulante que jamais, Achille manque de charisme et d’assurance quand Gens elle-même, toujours noble et bien-disante, semble en méforme (aigus tirés, vocalises savonnées de la dernière scène). Côté messieurs, on apprécie l’Ulysse clair et éloquent de Vidal, l’élégant Polite de Bockler et l’excellent Grand Prêtre d’Arnaud Richard. Dans le rôle du pauvre Elphénor, condamné à se suicider dès l’acte III, Courjal fait valoir des graves impressionnants mais la voix paraît désormais un peu lourde (et du coup plaintive) pour ce type de répertoire.
 
Une demi-réussite, donc, qui nous donne cependant envie de découvrir la fameuse Iphigénie commencée par Desmarest et achevée par Campra en 1704…

Olivier Rouvière