Patrick Kabongo (Guillaume), Luiza Fatyol (Térézine), Emmanuel Franco (Joli-Cœur), Eugenio Di Lieto (Fontanarose), Adina Vilichi (Jeannette). Orchestre et Chœur philharmonique de Cracovie, dir. Luciano Acocella (live, Bad Wildbad, 13-15 juillet 2021).
Naxos 8.660514-15 (2 CD). Notes et synopsis en anglais et en allemand ; livret français disponible sur le site de Naxos. Distr. Outhere.
 
Avec Le Comte Ory (1828) de Rossini, Le Philtre (1831) d'Auber est l'une des très rares comédies qui remportèrent un succès durable à la salle Le Peletier, puisque l'ouvrage atteignit 243 représentations (totales ou partielles) jusqu'en 1862. Sur un livret d'Eugène Scribe qui allait très rapidement être adapté par Felice Romani pour L'elisir d'amore (1832) de Donizetti, Auber a composé une partition que la presse de l'époque jugea plutôt favorablement, mais sans manifester un enthousiasme débordant. Si l'on reconnut le charme et l'élégance de certains morceaux, on s'accorda en général pour affirmer que le solide métier du musicien n'avait pu suppléer à une relative pauvreté d'inspiration. L'écoute de cette première intégrale réalisée à Bad Wildbad confirme ce jugement : bien écrite pour la voix et se laissant écouter avec plaisir, l'opéra enchaîne une succession d'airs, ensembles et chœurs certes agréables, mais qui jamais ne nous emportent dans un tourbillon ensorcelant ni ne nous émeuvent véritablement. Il est par ailleurs inutile de chercher ici l'équivalent du fameux « Una furtiva lagrima » de Nemorino, car il s'agit d'un ajout qu'exigea Donizetti au deuxième acte de la pièce française. Chez Auber, le grand air du jeune paysan (« Philtre divin ») se situe plutôt au premier acte et traduit un amour que l'on trouvera bien raisonnable en comparaison. Parmi les moments les plus réussis, on note un chœur plein de caractère (« Est-il possible d'être insensible ») et une jolie barcarolle destinée à Fontanarose et Térézine (« Je suis riche, vous êtes belle »).
 
Pour retrouver la saveur un peu surannée de ce Philtre au flacon demeuré longtemps fermé, il aurait fallu une équipe autrement plus aguerrie que celle réunie à Bad Wildbad en 2021. En raison de la faiblesse insigne de l'Orchestre philharmonique de Cracovie, le chef Luciano Acocella ne peut prétendre à une interprétation satisfaisante, tout occupé qu'il est à essayer de conférer un peu de cohésion et de précision à une phalange indisciplinée. Manquant cruellement d'homogénéité, le chœur ignore jusqu'aux règles les plus élémentaires de la prononciation française, à l'instar de presque tous les solistes. En Térézine, Luiza Fatyol est dépourvue aussi bien de grâce que d'espièglerie, en plus d'éprouver beaucoup de difficultés dans le registre aigu. Eugenio Di Lieto campe un Fontanarose (équivalent de Dulcamara) plus en situation et doté d'une voix de basse intéressante, même si la caractérisation demeure sommaire. Très fruste, le Joli-Cœur d'Emmanuel Franco ne possède guère les qualités d'un séducteur infatué. Au sein de cette distribution très faible, Patrick Kabongo n'a aucun mal à se distinguer en Guillaume de grande classe, à la diction parfaite et au chant d'une belle suavité. Digne successeur d'Adolphe Nourrit, créateur du rôle, il justifie à lui seul la pertinence de cette parution, qui possède le mérite de faire découvrir une œuvre ayant marqué l'histoire de l'Opéra de Paris.
 

Louis Bilodeau