Salome Jicia (Suzel), Charles Castronovo (Fritz), Teresa Iervolino (Beppe), Massimo Cavalletti (Davide), Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino, dir. Riccardo Frizza, mise en scène : Rosetta Cucchi (Florence, mars 2022).
Dynamic CDS7960 (2 CD). Notice et livret italien/anglais. Distr. Outhere.

Hier popularisé par la gravure qu’en réalisait le couple Freni-Pavarotti sous la baguette de Gavazzeni, orfèvre en la matière, cet Amico Fritz de belle allure est l’occasion ou jamais de remettre à l’heure la pendule de la critique en revisitant le concept erratique de vérisme. Mascagni, initiateur de cette esthétique, devait, on le sait, récuser le mot et la chose en s’adonnant tour à tour au romantisme allemand, à l’impressionnisme pré-debussyste, au drame larmoyant et à l’anti-modernisme ! Mouton à cinq pattes de l’opéra italien, le compositeur passait sans coup férir en 1891 avec l’idylle du présent opéra, de la gouache projetée sur les héros de sa Cavalleria rusticana, à l’aquarelle des amours campagnardes. La simple captation audio du spectacle disponible en DVD sous le même label nous épargne la transposition de cette commedia lirica qui se déroule en Alsace au XIXe siècle dans le New York du XXe, pour des motifs qui peuvent nous échapper.

La française Emma Calvé, Carmen de légende et première Santuzza française, offrait en Suzel un modèle de chant d’école hérité de Manuel Garcia junior, éminent pédagogue, via Mathilde Marchesi qui lui avait succédé au Conservatoire de Paris. Le ténor de la première, Fernando De Lucia, apte à la vocalisation ornée belcantiste et célèbre pour la subtilité de ses sons filés, n’en serait pas moins l’un des serviteurs zélés du vérisme. La présente héroïne distribuée à Florence, Salome Jicia, soprano georgienne façonnée par Alberto Zedda et Renata Scotto, mozartienne tentée par la Violetta de Verdi, relève le défi avec un aplomb et une maîtrise que son amoureux malgré lui pourrait lui envier. Timbre capiteux, aigus d’une projection et d’une plénitude à soulever les bravi, la tentatrice ingénue, métaphore lyrique du poème verlainien « Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous », confère au célèbre duo des cerises une intense persuasion. Les hésitations de son improbable amant, d’abord plus attaché à ses vignes qu’aux effluves sensuels dispensés par la jeune vierge, laissent place le plus souvent à des débordements lyriques di forza. Le ténor américain réduit ainsi à une constante démonstration de brio vocal, un emploi naguère policé par un Gigli, un Schipa, avant nos Pavarotti ou Alagna. En David, manière d’entremetteur, le baryton Cavalletti assure avec relief, quand le mezzo travesti de Teresa Iervolino joue sa partie avec conviction. D’un orchestre aux bois suggestifs, Riccardo Frizza, éminent donizettien ici reconverti, obtient une belle alacrité d’ensemble à laquelle participe un chœur homogène et engagé. Mascagni, à qui l’on doit d’avoir en son temps enregistré cet opéra singulier, retrouve grâce à ces disques une nouvelle jeunesse et une actualité bienvenue.

Jean Cabourg