Ambroisine Bré (Psyché), Bénédicte Tauran (Vénus), Eugénie Lefebvre (Flore), Robert Getchell (Vulcain), Cyril Auvity (l’Amour), Anas Séguin (le Roi), Philippe Estèphe (Jupiter), les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset.
Château de Versailles Spectacles CVS 086 (2 CD). 2022. Notice en français. Distr. Outhere.
 
Il s’agit, sauf erreur, du dixième opéra de Lully enregistré par Christophe Rousset qui, pour l’occasion, change d’éditeur (les titres précédents étant pour la plupart parus chez Aparté) mais non d’équipe.
 
C’est à dessein que, pour désigner cette Psyché de 1678, nous employons le titre anachronique d’« opéra » plutôt que de « tragédie lyrique » – car en est-elle vraiment une ? Psyché avait connu une première vie en 1671 sous la forme de pièce à machines, planifiée par Molière, versifiée par Pierre Corneille et Quinault, entrelardée d’intermèdes musicaux dus à Lully. En 1678, ce dernier ne peut faire appel à son fidèle Quinault pour rédiger le livret de la tragédie en musique qu’il produit chaque année (depuis 1672), car le dramaturge a encouru la colère de la terrible Montespan, laquelle a cru se reconnaître dans la vilaine Junon d’Isis (1677). Le compositeur se tourne donc vers Thomas Corneille, frère cadet de Pierre, afin qu’il fasse de la pièce initiale un livret digne de ce nom – tout en y réintégrant les intermèdes originaux.
 
Mais cette nouvelle Psyché n’a de tragédie lyrique que le nom : d’abord, elle finit bien ; ensuite, elle se ressent du caractère épisodique de la pièce (outre la traditionnelle indiscrétion de Psyché, on y trouve une descente aux enfers qui pastiche le mythe d’Orphée et un retour sur terre qui évoque celui de Pandore) ; enfin, elle n’est pas « régulière » puisque l’acte III ne comporte pas de divertissement et que le dernier acte est deux fois plus long que celui qui le précède. La partition souffre parfois de ce caractère composite, décoratif, et on trouvera peu, ici, de grands récits pathétiques.
 
Elle nécessite donc un chef qui l’empoigne, lui confère une unité qu’elle ne possède pas à l’évidence : sur ce plan, Rousset l’emporte nettement sur ses prédécesseurs (O’Dette et Stubbs, chez CPO, 2008). Précis, mordant, doté d’un évident sens dramatique (la célèbre « Plainte italienne » !), il dirige un continuo moins fleuri que celui de Boston mais ô combien juste (la scène cruciale de l’aveu amoureux), des cordes aux attaques moelleuses et des flûtes superlatives. L’habituelle raideur des Talens Lyriques, qui nous gêne dans le répertoire italien, se change ici en atout, même si telle ritournelle pourrait gagner en sensualité (début de l’acte I).
 
De même, si nous ne sommes pas toujours partisan de faire chanter le chœur par les solistes, ce parti pris se trouve ici justifié par le merveilleux fondu et la liberté dynamique dont témoigne l’ensemble des treize chanteurs (merci la prise de son). Pris individuellement, ceux-ci ne sont pas moins remarquables, du moins côté dames : bravo à la Psyché corsée et charnelle d’Ambroisine Bré, à la Vénus vipérine et éloquente de Bénédicte Tauran – quelle maîtrise, chez toutes deux, dans l’ouverture et la fermeture des voyelles ! Bravo aussi à Cyril Auvity pour son tendre Amour et à Zachary Wilder pour son séduisant Zéphire – même s’ils convainquent moins en Mercure et en Apollon (c’est très aigu !). On n’est pas autant convaincu par le Jupiter d’Estèphe ni par le Roi de Séguin, trop légers, et on pourra trouver l’accent de Getchell, au choix, amusant ou gênant.
 
Peccadilles au regard de la cohésion du propos, de la réussite d’ensemble, témoignant de la familiarité des interprètes avec le compositeur. On attend désormais Thésée (qu’ils viennent de donner à Bruxelles) !

Olivier Rouvière