Bogna Bernagiewicz (Penelope), Francisca Prudencio (Cephalia), Gerald Thompson (Circe), Markus Brutscher (Jupiter, Eurilochus), Goetz Phillip Körner (Apax), Janno Scheller (Ulysses, Neptune), Jürgen Orelly (Urilas), Choeur et orchestre de Göttingen, dir. Antonius Adamske.
Coviello Classics COV92203 (2 CD). 2021. Notice en anglais. Distr. UVM Distribution.
 
En 1722, alors que Telemann s’apprête à prendre la direction de l’Opéra du Marché aux oies de Hambourg – premier opéra public d’Allemagne – son prédécesseur et rival, Reinhard Keiser (1674-1739) se cherche un autre emploi : il obtiendra celui de maître de chapelle du roi de Danemark Frédéric IV, poste essentiellement honorifique, puisque Copenhague ne dispose pas alors de théâtre ni de troupe dignes de ce nom. C’est à l’occasion de l’anniversaire du monarque qu’est composé cet Ulysses, qui, comme beaucoup d’opéras « hambourgeois », s’inspire d’une tragédie lyrique française, l’Ulysse (1703) de Jean-Féry Rebel – enregistré par Hugo Reyne en 2007.
 
Mais s’en inspire lointainement : les cinq actes d’origine ont été réduits à trois, plusieurs rôles divins ont disparu, celui de Circé a été réduit, tandis qu’on ajoutait un valet de comédie (Apax) et des Amorini (« Amourette(s) » dans le livret) censés inciter la chaste Pénélope à la débauche. Le drame, désormais passablement décousu et précédé d’un prologue à la gloire de Frédéric, tient plus du divertissement bon enfant que de la tragédie – d’autant que sa création rencontre d’autres avanies : le remplacement in extremis de la prima donna par une chanteuse qui amène dans ses bagages les airs (italiens) qu’elle souhaite chanter.
 
Adamske n’a pas cherché à dissimuler le caractère disparate, presque improvisé de l’ouvrage, optant pour une interprétation ludique et décorative, pas spécialement dramatique, un chœur de solistes (excellent), un orchestre léger mais coloré (où tous les pupitres, y compris le luth, la trompette et le trombone, sont représentés), insérant les diverses versions du même air les unes à la suite des autres, choisissant des voix fraîches mais pas toujours aguerries – et osant le second degré en confiant bizarrement le rôle de Circé à un… contre-ténor !
 
La musique de Keiser brille par son inventivité, son aspect baroque, ses fulgurantes intuitions (la tonalité préromantique de l’air « Liebster Schatz »), davantage que par son souffle (les récitatifs sont un peu longuets et les airs souvent courts).
 
Les deux sopranos dominent la distribution vocale – l’une, Prudencio, plus légère et haut perchée, l’autre, Bernagiewicz, plus corsée, impressionnante d’endurance (notamment dans les redoutables pages signées Orlandini) bien que parfois un peu raide. Ténors (Brutscher, Körner) et baryton (Scheller) ont de jolies voix demandant cependant à s’affermir, tandis que le contre-ténor Thompson s’avère percutant mais parfois criard et la basse Orelly assez besogneuse.
 
Des quelques soixante-dix opéras composés par Keiser, il nous reste moins d’une dizaine : on aurait tort de bouder la sympathique résurrection de celui-ci.
 

Olivier Rouvière