Piero Pretti (Gustavo III), Anna Pirozzi (Amelia), Amartuvshin Enkhbat (Anckastrom), Anna Maria Chiuri (Ulrica), Giuliana Gianfaldoni (Oscar), Fabio Previati (Cristiano), Fabrizio Beggi (Ribbing), Carlo Cigni (Dehorn), Cristiano Olivieri (Il Giudice), Chœur du Teatro Regio de Parme, Filarmonica Arturo Toscanini, Orchestra Rapsody, dir. Roberto Abbado, mise en scène, Jacopo Spirei. Live, Parme, 24 septembre 2021.
DVD Dynamic 37937. Notice en italien et en anglais. Distr. Outhere.

En récupérant le livret original refusé par la censure romaine, à travers l'édition critique du Bal Masqué, redevenu ainsi le Gustavo III initialement voulu par Verdi, Jacopo Spirei a cru bon de réintroduire dans sa mise en scène (inspirée d'un projet non réalisé de feu Graham Vick), des éléments évoquant l'homosexualité du roi de Suède historique. L'idée n'est pas neuve, Calixto Bieito l'avait déjà exploitée avec une toute autre finesse dans sa production barcelonaise de 2000, en mettant au centre de son propos les métamorphoses du personnage androgyne d'Oscar, que l'on retrouve dans cette production. Mais chez lui, elle ne constituait pas l'essentiel du discours et son propos visait plutôt l'idée de la répression de la sexualité par des forces fascistes, incarnées par les conspirateurs avec qui s'associe Anckastrom (Renato) pour exécuter sa vengeance.

Dans la présente version, les allusions paraissent plaquées et n'apportent rien de vraiment significatif à l'intrigue. Au premier acte, parmi les courtisans en deuil qui se contorsionnent devant le tombeau du Roi, figurent quelques femmes à barbe ; au deuxième, l'antre de la devineresse est devenu un bar à marins tout droit sorti de Querelle de Fassbinder dont Ulrica serait la Madame Lysiane et « l'orrido campo » est évidemment un lieu de drague gay ; au troisième, le bal masqué final est sûrement censé évoquer une boite queer ou une sorte de carnaval interlope. L'espace commun à ces quatre lieux est une grande arène vide surplombée d'un balcon où le chœur a été relégué et fait office de voyeur. Sur la scène, trône un grand tombeau de marbre noir surmonté d'un ange prêt à s'envoler (peut-être un parent de celui de la pièce Tony Kushner). L'ensemble évite ainsi le faux réalisme et on lui reconnaîtra une appréciable fluidité et une certaine originalité visuelle, avec un jeu sur les ambiances colorées suffisant à transformer cet espace au climat onirique et morbide, pour chaque tableau. Si les options de la mise en scène ne convainquent pas pleinement, la distribution vocale se révèle en revanche d'un remarquable niveau. Elle est dominée par l'Amelia, suprêmement bien chantée d'Anna Pirozzi, voix égale sur toute l'étendue de la tessiture, phrasé impeccable, timbre somptueux, une sorte de Caballé de la grande époque sans les maniérismes, handicapée seulement par un physique loin de la fragilité supposée de son personnage. Si Piero Pretti n'a pas tout à fait l'allure aristocratique d'un très grand Gustavo, il ne démérite pas face aux exigences d'un rôle à mi-chemin entre ténor spinto et lyrique et s'impose sans être inoubliable. La voix puissante et solidement timbrée d'Amartuvshin Enkhbat donne beaucoup de présence à Anckastrom et on ne pourrait lui reprocher qu'une certaine uniformité dans la couleur. À quelques aigus un peu forcés près, Anna Maria Chiuri est une Ulrica de grand relief et Giuliana Gianfaldoni compose un brillant Oscar. Deux excellents baryton et basse dans le rôle des conspirateurs complètent ce plateau homogène que Roberto Abbado mène à un plein succès à la tête de l'excellent orchestre du Théâtre Regio de Parme, avec un chœur exemplaire et de petits rôles de qualité. Malgré le titre et les références à l'édition critique, c'est l'adaptation du texte originel de Somma à la partition définitive qui fait l'originalité de cette version. Il ne s'agit en aucun cas d'une reconstitution du projet initial de Verdi dont certains airs étaient foncièrement différents. Musicalement donc, ce Gustavo III reste une version du Ballo in maschera avec quelques variantes textuelles.

Alfred Caron