Nicolas Brooymans (Pan, un homme, un cyclope, Pluton), Marc Mauillon (Mars, un homme, un cyclope, un démon), Lucile Richardot (Le Grand Prêtre, Dieu de la Rivière, une femme, une furie), Caroline Weynants (une furie, une nymphe, un amant élyséen), Paul-Antoine Bénos-Djian (Apollon, un démon, un chanteur), Ensemble Correspondances, dir. Sébastien Daucé.
Harmonia Mundi HMM90532526. 2021. Notice en français. Distr. Harmonia Mundi.

En 1660, Charles II, revenu de ses dix ans d’exil, restaure (temporairement) le pouvoir des Stuart en Angleterre. Il fait rouvrir les théâtres, et, séduit par les pièces à machines de son cousin Louis XIV, cherche à acclimater ce nouveau type de divertissements. Commandée pour le mariage du frère de Charles (le futur Jacques II), la Psyché montée au théâtre londonien de Dorset Garden en 1675 s’inspire ainsi de la tragédie-ballet de même titre créée au Palais-Royal en 1671, dont les scènes récitées étaient dues à Molière et Corneille et les divertissements musicaux à Quinault et Lully. La mouture anglaise conserve cette juxtaposition de la musique et du théâtre, en en renversant les proportions puisque le drame principal, adapté par Thomas Shadwell, se voit raccourci tandis que les intermèdes, dont la musique est confiée à Matthew Locke et Giovanni Battista Draghi, prennent de l’importance. La partition de The Siege of Rhodes (déjà en partie due à Locke) qui la précéda de vingt ans étant considérée comme perdue, Psyché constitue donc le premier exemple conservé de semi-opéra anglais – un genre que Purcell va porter à son apogée, où les personnages principaux (humains) parlent tandis que ce sont les divinités et rôles fantastiques qui chantent. Encore le terme « conservé » est-il abusif puisque les danses écrites par Draghi n’ont pas été préservées. Tentant une première résurrection de l’ouvrage au disque en 1994 (L’Oiseau-Lyre), Philip Pickett choisit de les remplacer par des adaptations de pièces pour clavier de Draghi. Sébastien Daucé, lui, a préféré puiser dans les recueils publiés de Locke et d’autres musiciens de théâtre. Les deux choix se défendent. Les deux versions discographiques aussi, qui diffèrent en d’autres points – Pickett, à la tête d’un vaste orchestre (employant deux fois plus de flûtes que Daucé) jouant la carte du brio, Daucé celle de l’intériorité. Les climats créés par l’Ensemble Correspondances sont extrêmement prenants : mystérieuse entrée de l’Envie, trémolos expressifs de la danse des prêtres, divines harmonies associées à (la méchante) Vénus. Le caractère visuel de l’ouvrage (dont les scènes parlées n’ont pas été enregistrées) se voit superbement évoqué, à travers un habile jeu sur les textures et doublures, la dynamique instrumentale, le déhanchement des rythmes, la saveur rustique des sonorités. Le chœur, qui rassemble les treize solistes, sait aussi sublimer le contrepoint charnu de Locke, notamment lors des scènes infernales. L’entreprise trouve ses limites dans les pages individuelles, qui, sauf dans la vaste Plainte italienne empruntée à la Psyché lulliste (interpolée à l’acte II), restent assez frustes. Afin de préserver le caractère coruscant d’une écriture davantage tournée vers la déclamation et la verve populaire que vers le lyrisme, on a ici fait choix de voix « typées » : basse rocailleuse de Nicolas Brooymans, ténor blanc de Marc Mauillon, mezzo âpre de Lucile Richardot, autant de timbres abrupts qui ne combleront pas les amateurs de chant (mieux servis chez Pickett), davantage visés par les interventions de la soprano Caroline Weynants et, surtout, du contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian, merveilleux Apollon. Une vision très personnelle du « premier opéra anglais », qui aurait peut-être mérité un DVD…

 
Olivier Rouvière