Lydia Teuscher (Caliste), Marie Lys (Iris), Florian Götz (Damon), Alois Mühlbacher (Amyntas), Virgil Hartinger (Knirfix), Vocalconsort Berlin, Ensemble 1700, dir. Dorothée Oberlinger.
DHM (2 CD). 1h 49. Live, 2022. Notice en anglais. Distr. Sony.

En 2001, le chef d’orchestre ukrainien Kirill Karabits, alors étudiant, découvre à Kiev une magnifique partition d’époque intitulée Pastorelle en musique, attribuée à Telemann, qu’il enregistre dans la foulée. L’œuvre, qu’on n’a pu dater exactement, remonterait aux années 1712-1721, durant lesquelles Telemann fut directeur de la musique de Francfort et pourrait donc être l’un des plus anciens opéras de sa main qui nous ait été conservés. Opéra ou sérénade ? En douze scènes et une quarantaine de numéros, l’ouvrage ne compte qu’un seul acte et a peut-être été écrit à l’occasion d’un mariage. Comme l’indique son intitulé, ses sources sont à chercher du côté de la France : le livret (de la main du compositeur ?), qui s’inspire des Amants magnifiques de Molière, met en scène deux bergers soucieux de s’attirer les bonnes grâces de deux donzelles rétives, sous l’œil d’un vieux philosophe. La musique, qui réclame des moyens considérables, baigne dans une atmosphère pastorale (le premier numéro, choral, est une musette), sans dédaigner certains éclats guerriers, bizarrement plutôt confiés aux femmes. Elle inclut aussi plusieurs authentiques airs de cour (en) français, dévolus au rôle principal, un baryton, Damon – sans doute créé par Telemann lui-même. Si l’enregistrement de cette Pastorelle qu’a réalisé Karabits (Capriccio, 2004) reste recommandable, celui de l’Ensemble 1700 risque de le faire oublier : captée sur la scène du théâtre de Sanssouci, à Potsdam, cette lecture d’une théâtralité constante confirme l’expressivité d’un ensemble recruté aux quatre coins du globe. Sous la férule endiablée de Dorothée Oberlinger, les cors rugissent (formidable Intrada, à la fin de l’œuvre), les timbales (absentes, chez Karabits) grondent, le hautbois pleure (sublime « Dir ahnet was » !), les flûtes planent (dans la scène de sommeil qui suit), tandis que le violon arachnéen d’Evgeny Sviridov réveille les oiseaux envoûtés par le luth d’Axel Wolf. Côté voix, les deux sopranos nous comblent, l’une étincelante et haut-perchée (Teuscher), l’autre plus chaude et corsée (Lys) – leur hymne à la liberté est un régal ! Dans un rôle plutôt destiné à un alto masculin, la mezzo Mühlbacher fait preuve de beaucoup d’abattage tandis que le ténor de caractère Hartinger nasille à l’envi en vieux barbon. Seul bémol : le baryton manquant de rondeur et d’assise de Götz, moins doué pour le legato que son rival chez Karabits (Mathias Hausmann) et au français assez éteint. En dépit de cette réserve une nouvelle réussite à mettre au crédit d’Oberlinger, après un épatant Polifemo de Bononcini (DHM, 2020) : une baguette à suivre !

Olivier Rouvière