Valentina Nafornita (Fiordiligi), Vasilisa Berzhanskaya (Dorabella), Benedetta Torre (Despina), Matthew Swensen (Ferrando), Mattia Olivieri (Guglielmo), Thomas Hampson (Don Alfonso). Orchestre et chœur du Mai musical florentin, dir. Zubin Mehta, mise en scène, Sven-Eric Bechtolf (Théâtre du Mai musical florentin, 28 mars 2021).
Naxos NBD0147V. 2021. 3h08. Notes et synopsis en anglais et en allemand. Distr. Outhere.

Avec ce spectacle du Mai musical florentin, la vidéographie de Cos
ì fan tutte compte désormais trois productions de Sven-Eric Bechtolf. Après les versions décevantes de Zurich (Arthaus, 2009) et de Salzbourg (EuroArts, 2013), le metteur en scène s'est assagi en renonçant enfin au cabotinage hors de propos et à l'idée saugrenue de faire mourir l'un des personnages par le poison (Fiordiligi à Zurich et Alfonso à Salzbourg). Cette fois‑ci, la pièce se termine de façon plus subtile, avec la vision des couples Fiordiligi‑Ferrando et Dorabella‑Guglielmo qui se reforment in extremis, à la barbe d'Alfonso. On se demande cependant pourquoi Bechtolf tient encore une fois à ce que l'interprète de Guglielmo chante « Donne mie, la fate a tanti » tout en assemblant avec des fruits une sorte de figurine féminine absolument grotesque. Cela dit, l'ensemble de la représentation procure un plaisir à peu près constant grâce à une direction d'acteurs attentive à explorer les intermittences du cœur des protagonistes, qui évoluent dans un décor constitué principalement d'un énorme mur convexe s'ouvrant au fur et à mesure de l'action pour dévoiler intérieurs et jardins inspirés de la fin du XVIIIe siècle.

Sans renouveler le miracle de son Enlèvement au sérail enregistré à la Scala en 2017 (Cmajor) dans la mise en scène légendaire de Giorgio Strehler, Zubin Mehta favorise l'intériorité, privilégiant les rythmes plutôt lents. Si la comédie se trouve ainsi privée d'une partie de son côté vif-argent, on y savoure avec gourmandise les merveilles d'orchestration que le chef sait paticulièrement mettre en relief. Au sein d'une distribution fort bien équilibrée, le baryton Mattia Olivieri se distingue non seulement par l'évidence de ses dons vocaux, mais par le naturel confondant avec lequel il habite son personnage de Guglielmo. Moins à l'aise scéniquement, Matthew Swenson campe néanmoins un Ferrando parfaitement convaincant et qui sait tirer le meilleur parti d'un timbre légèrement nasal. Pour sa part, le Don Alfonso de Thomas Hampson possède une telle intelligence du texte et de la musique qu'on en parvient quasiment à oublier l'usure bien compréhensible de l'instrument. Du côté des dames, la mezzo russe Vasilisa Berzhanskaya déploie les somptuosités d'une voix qui confère beaucoup de relief à Dorabella, tandis que Valentina Nafornita est une Fiordiligi émouvante, à laquelle manque toutefois un zeste d'expressivité et d'assurance technique dans « Come scoglio » et « Per pietà ». Remarquable de fraîcheur vocale et de justesse dramatique, la Despina de Benedetta Torre n'inspire en revanche que de bons mots. Voilà en somme une parution aux mérites nombreux, mais qui n'éclipse pas à notre avis la production de Nicholas Hytner (direction Iván Fischer) filmée à Glyndebourne en 2006 (Opus Arte).

Louis Bilodeau