Sandrine Piau (Argie), Anne-Catherine Gillet (Nérine), Mathias Vidal (Atis), Florian Sempey (Orcan), Nahuel di Pierro (Anselme), Philippe Talbot (Manto), La Chapelle Harmonique, dir. Valentin Tournet.
Château de Versailles-Spectacles (3 CD). 2h45. 2020. Notice en français. Distr. Outhere. 

Dernier ouvrage représenté de Rameau, Les Paladins (1760) n’a jamais eu beaucoup de chance : ce fut un fiasco à sa création et les deux enregistrements discographiques qui en étaient jusqu’ici disponibles (Malgoire, Pierre Vérany, 1998 ; Junghänel, Coviello, 2010) se distinguaient par leurs approximations. Avec cette « comédie lyrique » en trois actes (sans prologue) mêlant faux pèlerins, amant chevaleresque, belle prisonnière, barbon sanguinaire, Chinois, couple de serviteurs venu de la commedia dell’arte, fée hideuse chantée par un homme et ambiance troubadour, le compositeur de soixante-dix-sept ans ne pouvait que dérouter. Le livret, lointainement inspiré d’un conte de La Fontaine, fut unanimement décrié, tandis que la partition fut jugée trop raffinée : s’y mêle en effet une veine italianisante se ressentant de Pergolèse (personnage de Nérine) à des récits du plus haut pathos et des danses d’une grande complexité (l’Air vif de l’Acte III, redoutable pour les cors !). On se réjouissait donc par avance de cette parution intégralissime (un bon quart d’heure de pages alternatives est offert en appendice), ayant bénéficié des dernières recherches musicologiques. Le sérieux de l’entreprise constitue cependant sa limite, en ce qu’il déteint sur la direction de Valentin Tournet, qui nous convainc moins encore que dans ses récentes Indes Galantes : on retrouve en effet ici ce carcan rythmique, cette lourde accentuation (« Eh, comment veux-tu que l’on aime ? »), ce manque de souplesse, de rebond (« Est-il beau, beau comme le jour ? ») et, surtout, ces enchaînements laborieux (tout le début de l’Acte II) préjudiciables à une œuvre kaléidoscopique dans laquelle domine – ou devrait dominer – la légèreté. Sans doute l’absence d’expérience de la scène a-t-elle ici pesé (c’est le cas de le dire), notamment sur les récitatifs – on se rabattra sur les passages plus « symphoniques », comme la parodie d’apparition infernale, au coeur de l’Acte II, mieux réussie.

En dépit du caractère corseté de la direction, l’orchestre séduit (davantage par ses vents que par ses cordes), le choeur s’avère convaincant, réactif, et les solistes bien choisis. Surtout côté dames : passée de Nérine (qu’elle incarnait dans le spectacle de William Christie/José Montalvo DVD Opus Arte, 2004) à Argie, Sandrine Piau, noble de phrasé et toujours émouvante, dote le rôle d’une véritable aura. Dotée d’un timbre plus pointu et d’un vibratello auquel il faut s’habituer, Anne-Catherine Gillet campe cette peste de Nérine avec piquant et virtuosité. L’auteur de ces lignes ne goûte pas spécialement, en général, le chant éruptif de Mathias Vidal et de Florian Sempey : mais il faut avouer qu’ici le premier, toujours aussi fougueux, affronte la tessiture tendue d’Atis avec un grand luxe de nuances, allégements et effets de voix mixte (le duo final des amants est un régal) et que le second parvient à fort bien doser beau chant et expression, dans la partie payante mais périlleuse du poltron Orcan. Nahuel di Pierro prête au vieil Anselme  une voix plaisante, manquant cependant de métal, et Philippe Talbot, habitué au rôle de Platée, trousse avec classe (mais peu de drôlerie) celui, comparable, de la fée Manto. Cette version prend donc – temporairement ? la tête de la discographie, en dépit de son trop peu d’entrain.

Olivier Rouvière