Dshamilja Kaiser (Lisa), Nadja Stefanoff (Marta), Will Hartmann (Walter), Markus Butter (Tadeusz), Tetiana Miyus (Katja), Antonia-Cosmina Stancu (Krystina), Anna Brull (Vlasta), Mareike Jankowski (Hannah), Sieglinde Feldhofer (Yvette), Ju Suk (Alte), Joanna Motulewicz (Bronka), Ivan Oreščanin (Premier SS), David McShane (Deuxième SS), Martin Fournier (Troisième SS), Konstantin Sfiris (Passager âgé), Uschi Plautz (Surveillante), Maria Kirchmair (Kapo), Adrián Berhely (Steward). Chœur de l’Opéra de Graz, Philharmonie de Graz, dir. Roland Kluttig (Opéra de Graz, 11-12 février 2021).  
Capriccio. 2 CD. Présentation et livret bilingues (all., angl.). Distr. Outhere.
 
C’est le DVD qui avait révélé l’opéra de Weinberg : production de David Pountney à Bregenz, dirigée par Teodor Currentzis, puis de Thaddeus Strassberger à Ekaterinbourg, dirigée par Oliver von Dohnányi. Aucune scène n’avait représenté cette œuvre achevée depuis 1968, surtout en Russie soviétique : Auschwitz pouvait rappeler des souvenirs du goulag. Pour la première fois, cette Passagère a les honneurs du disque, à travers une réalisation récente de l’Opéra de Graz, où l’on chante en allemand – sauf quand les détenues s’expriment dans leur langue natale. Belle occasion de vérifier que, sans le secours de la scène, l’œuvre, pas moins poignante, garde toute sa force. Il est vrai qu’elle bénéficie d’une interprétation aussi homogène qu’investie. Si Dshamilja Kaiser n’a pas la plus belle voix de mezzo du monde, elle s’identifie à Lisa, l’ancienne kapo qui croit reconnaître Marta, la jeune déportée polonaise avec laquelle elle entretenait un étrange rapport de domination faussement protectrice avant de l’envoyer à la mort. Tout en préservant une ligne et des nuances, elle restitue la perversité sinueuse de l’ancienne tortionnaire avouant son passé à son mari mais n’en gardant guère, malgré son trouble, que la bonne conscience d’avoir obéi aux ordres. Lui est diplomate, parti pour prendre un poste au Brésil, un Will Hartmann à la voix très ingrate, aux aigus forcés d’ancien baryton, mais collant bien à la lâcheté du personnage surtout soucieux de sa carrière. Autour d’eux, d’excellents chanteurs, à commencer par la Marta de Nadja Stefanoff ou la Katja de Tetiana Miyus, deux voix d’une pureté liquide, et le fiancé de Marta, Tadeusz, un émouvant Markus Butter – quand il joue au commandant la Chaconne de Bach au lieu de la valse attendue, il se condamne à mort. Entre cris et chuchotements, l’orchestre, où l’insoutenable devient musique, est remarquablement conduit par Roland Kluttig. On serait curieux de voir le spectacle via un DVD.

Didier Van Moere

À lire : Notre compte rendu de La Passagère de Weinberg (DVD Dux)