Vera Talerko (Berenice), Kenneth Tarver (comte Alberto), Lorenzo Regazzo (Don Parmenione), Giada Frasconi (Ernestina), Roberto Maietta (Martino), Patrick Kabongo (Don Eusebio), Virtuosi Brunensis, dir. Antonino Fogliani. Mise en scène : Jochen Schönleber (Königliches Kurthteater de Bad Wildbad, 13 et 22 juillet 2017).
Naxos NBD0137V. 2017. Sous-titres français ; synopsis en allemand et en anglais. Distr. Outhere.

Créé au San Moisè de Venise en novembre 1812, L'occasione fa il ladro est une délicieuse burletta (farce) en un acte du jeune Rossini qui, à tout juste vingt ans, fait déjà montre d'un métier confondant. Sur un scénario tirant son origine de la pièce Le Prétendu par hasard ou l'Occasion fait le larron (Variétés, 1810), d'Eugène Scribe, la ravissante partition du jeune maître sait constamment trouver le ton juste dans cette comédie où un échange de valises donne l'idée à Don Parmenione d'usurper l'identité du comte Alberto afin de briguer la main de la riche héritière Berenice. Or, dans un jeu de rôles à la Marivaux, cette dernière prend la place de sa (fausse) soubrette pour apprendre à connaître l'homme qui lui est destiné et succombe bien sûr au charme du véritable fiancé... tandis que le soi-disant Alberto tombe amoureux de la fausse Berenice. D'une durée d'une heure trente, l'œuvre atteint à un bel équilibre entre tendres épanchements et moments de franche comédie qui annoncent les futurs chefs-d'œuvre du compositeur. À cet égard, le superbe quintette « Quel gentil, quel vago oggetto » constitue une page éblouissante qui nous prouve déjà combien Rossini excellait à traduire en musique les situations les plus drôlement confuses.

Sur le minuscule plateau du théâtre de la cour de Bad Wildbad où la scénographie se limite à quelques rares meubles et accessoires, Jochen Schönleber transpose l'action à notre époque en soulignant parfois à gros traits les aspects burlesques. Don Parmenione et son valet Martino sont ici des escrocs qui n'ont pas à saisir une quelconque occasion pour commettre leur méfaits, puisqu'ils dérobent sciemment le bien du comte. Expert dans l'art de se transformer, Parmenione coiffe par ailleurs diverses perruques, toutes plus ridicules les unes que les autres. Dans ce rôle haut en couleur, Lorenzo Regazzo révèle un sens du comique assez stupéfiant : à la fois sensuel et infatué de lui-même, il adopte une gestuelle qui s'apparente à une véritable chorégraphie, entraînant toute la joyeuse bande de personnages dans sa douce folie. À l'exception de quelques notes aiguës un peu difficultueuses, son interprétation vocale remporte tous les suffrages. Il forme avec l'excellent Martino de Roberto Maietta un duo de fripouilles merveilleusement assorties. Ardent et racé, Kenneth Tarver se coule avec bonheur dans les morceaux élégiaques du comte Alberto, tandis que le Don Eusebio de Patrick Kabongo fait entendre un très agréable timbre de ténor. Disposant de moyens moins remarquables, la Berenice de Vera Talerko et l'Ernestina de Giada Frasconi compensent leur relatif manque de souplesse vocale par un jeu très naturel. Dans la fosse, Antonino Fogliani galvanise son petit ensemble Virtuosi Brunensis, qui sonne particulièrement bien dans l'orage de la première scène et dans les ensembles endiablés. Si cette captation ne surclasse peut-être pas la version nettement plus sage de Schwetzingen dirigée par Gianluigi Gelmetti (Euro Arts, 1992), elle offre néanmoins une vision on ne peut plus réjouissante de ce petit joyau.

Louis Bilodeau