Mika Kares (Barbe-Bleue), Szilvia Vörös (Judith), Orchestre Philharmonique de Helsinki, dir. Susanna Mälkki (live, janvier 2020, Helsinki, Music Center).
Bis 2388. 60'. Présentation trilingue (angl., all., fr.). Distr. Outhere.

Toute la musique, rien que la musique, semble nous dire Susanna Mälkki dans ce Château de Barbe-Bleue, où elle rappelle le Boulez de la version Sony. Elle va, comme lui, jusqu’au cœur d’une œuvre dont elle restitue toutes les nuances. Loin de toute tradition postromantique, à laquelle se rattachaient encore un Kertesz ou un Sawallisch, elle exalte la modernité de Bartok, qu’elle ancre dans les audaces du début du siècle. Ce n’est pas elle qui lorgnera vers Wagner ou Bruckner lorsque résonneront les grands accords majestueux de la Cinquième porte. Qu’on n’attende pas non plus qu’elle pare d’irisations impressionnistes les trésors de la Troisième, ou qu’elle fasse pleurer les cordes et les bois pour le lac de larmes de la Sixième. Sécheresse ? Non. Une telle lecture crée une ambiance de désolation crépusculaire, à la Maeterlinck, comme si tout se trouvait d’emblée voué à l’échec. Le château ressemble à Allemonde. Mais elle n’émousse pas la violence de certains passages : les accords sourds de la fin de la Cinquième porte en sont chargés. Et la Finlandaise joue remarquablement sur les tensions et les détentes, à travers une vision très unitaire et très construite – magnifique dosage des crescendos, notamment dans l’inquiétante reptation des cordes conduisant au grand climax de la Sixième porte. Les voix sont belles de timbre, homogènes, impeccablement conduites. Voici un duc et une Judith jeunes, amoureux, lui rien moins que monstrueux, tendre plutôt, elle fragile, apeurée. Mais ni Mika Kares, ni Szilvia Vörös ne peuvent égaler les grands titulaires de leur rôle. S’en plaindra-t-on pour autant ? Ne sont-ils pas à l’unisson, par leur humilité devant la musique, de celle qui les dirige ? Cela nous vaut, ainsi, la plus équilibrée, avec celle d’Edward Gardner, des dernières versions du Château de Barbe-Bleue.

Didier van Moere