Melody Moore (Butterfly), Stefano Secco (Pinkerton), Elisabeth Kulman (Suzuki), Lester Lynch (Sharpless), Alexander Kaimbacher (Goro). Choeur & Orchestre Gulbenkian, Lawrence Foster.
Pentatone PTC5186783 ( 2 CD). Enr. 2019. Notice anglais Livret italien/anglais. Distr. Bertus.

Accueillons les bras ouverts une intégrale audio de cet opéra puccinien ainsi préservé d’une éventuelle vidéo certifiée régietheater, grâce à une captation obéissant à la seule dimension dramatico-musicale de l’ouvrage et qui en sublime les passions orientalisées. Renouant avec l’orchestre de la fondation Gulbenkian, formation née chambriste dont il s’éloignait en 2013, Lawrence Foster s’attache à un travail au petit point. Une direction analytique exempte de grandiloquence, soucieuse de mettre en relief chaque efflorescence d’une orchestration idéalement flattée par la prise de son. Cet art de l’estampe japonaise aux touches picturales façon Gustave Klimt, la geisha adolescente dépeinte au premier acte par l’américaine Melody Moore en offre tout l’innocent rayonnement. Cette voix liquide et pudique est pourtant couramment distribuée en Amnéris ou en Santuzza quand ce n’est en Donna Anna ou en concertiste mahlerienne ! La pureté de son timbre ne la prive d’ailleurs pas du medium ombré d’un dramatisme étreignant, sans rimmel expressif. L’ ardent « Un bel di vedremo » versus les blessures taraudantes de la mère étreignant son enfant ou sa fin tragique modulent ce chant ô combien malléable. Ce papillon aimanté par la mort purificatrice se montre en cela fidèle à l’image de la créatrice du rôle, Rosina Storchio, hier capable d’impulser à ses héroïnes leggeri les influx passionnels de leurs emplois, tout en préservant dans ses incarnations passionnelles une part d’innocente féminité. La servante Suzuki incarnée par Elisabeth Kulman est digne à tous égards de sa maîtresse, par la lumière d’un timbre cuivré sans redondances et d’une ligne concentrée. Goro, l’entremetteur chafouin tout de volubilité est campé par Alexander Kaimbacher, ténor hier en troupe à l’Opéra de Vienne, lyrique souple, léger et corsé tout la fois , crevant l’écran sans cabotiner. Si l’on doit en revanche créditer Stefano Secco d’avoir su conserver, la cinquantaine approchante, une juvénilité intacte, suggérons que la relative étroitesse harmonique du timbre et la sveltesse d’un aigu tendant à se dérober, font de lui une manière de double vocal de l’entremetteur. Notre lieutenant de la marine américaine vous a parfois des accents un rien contraints de jeune moussaillon. Ses mérites sont toutefois plus évidents que ceux du Sharpless inutilement plastronnant de Lester Lynch, plus Scarpia sommaire que Consul. Au sein d’une discographie pléthorique marquée par tout le gotha du chant mondial, cette version, évidemment très différente de celles d’une Gheorghiu face à Kaufmann ou même de l’idiomatique Daniela Dessi dans un passé récent, vaut par son charme insinuant. À preuve le chœur à bouche fermée idéalement exhalé par le chœur-maison.


Jean Cabourg