Laurent Naouri (Mamma Agata), Patrizia Ciofi (Daria, Prima Donna), Charles Rice (Procolo), Clara Meloni (Luigia, seconda donna), Enea Scala (Guglielmo, primo tenore), Pietro Di Bianco (Biscroma Strappaviscere), Enric Martinez-Castignani (Cesare Salsapariglia, poète), Piotr Micinski (L’impresario), Katherine Aitken (Pippetto), Dominique Beneforti (le directeur du théâtre), Choeur et Orchestre de l’Opéra de Lyon, dir. Lorenzo Viotti. Mise en scène Laurent Pelly. Enregistré à l’Opéra de Lyon les 6 et 8 juillet 2017.
Opus Arte OA 1335D (114’). Notice en anglais. Distr. DistrArt Musique.

Sans doute est-ce pour signifier que les mœurs théâtrales mises en scène par Donizetti et son librettiste dans les Convenienze ed inconvenienze teatrali appartiennent à une époque révolue que Laurent Pelly en a transposé l’action dans un théâtre transformé en parking où une troupe fantomatique, tout droit sortie des années 1930 (mais pourquoi pas 1830 ?), se chamaille autour d’un opéra séria en cours de composition. De fait, les querelles de préséance entre la prima et la seconda donna, le ténor prétentieux à l’accent germanique, le "musico" qui réclame son rondo, le mari de la diva qui fait l’article du talent de sa femme, tout cela ne nous parle plus guère et paraît, dans cette mise en scène, d’un comique un peu forcé voire un rien trop caricatural. Certes, les personnages secondaires – le librettiste, le compositeur et l’imprésario – sont croqués avec beaucoup de réalisme mais, sans le numéro de Mamma Agata, la mère "abusive" de la seconda donna qui, sous prétexte de protéger sa fille, terrorise la troupe et finit par s’imposer pour remplacer le "musico", enfui en même temps que le ténor à la fin du premier acte, tout cela aurait bien du mal à nous arracher un peu plus qu’un sourire.
L’ensemble, mené de main de maître par Lorenzo Viotti offre quelques beaux numéros musicaux mais il faut attendre la seconde partie où l’on retrouve la troupe dans le théâtre restitué à sa splendeur et contrainte par la "Forza"(ici la police) à répéter, pour que, par le jeu de la parodie, les costumes décalés, le ridicule des textes, les conventions musicales et les approximations des interprètes, le comique marche à plein. Le plus célèbre des airs parodiés est la Chanson du saule de l’Otello de Rossini dans laquelle Laurent Naouri, inénarrable en Mamma Agata permanentée et en robes à fleurs, s’en donne à cœur joie, passant des graves les plus profonds au falsetto le plus ridicule. Charles Rice en proconsul de pacotille et son air de "sortita" avec le chœur masculin, transformé en numéro de music-hall, est absolument irrésistible. Patrizia Ciofi, en prima donna allumée, déploie tout l’arsenal du belcanto le plus délirant et se démène dans ses airs virtuoses pour leur donner une tournure comique. On y ajoutera le très bel air de Luigia la seconda donna et l’air de bravoure que chante le ténor caché parmi les fauteuils mais tous deux paraissent tout à fait sérieux et un peu hors sujet.
Dans les sous-titres, le "musico" est devenu un contre-ténor. Katherine Aitken, est du reste habillée en homme. Mais ni en 1830 ni en 1930, on ne trouvait de "contre-ténor" dans les distributions d’opéra. Un musico est une femme spécialisée dans les rôles d’hommes en travesti, remplaçant les castrats en voie de disparition. Ce double anachronisme nous parait emblématique de ce qui manque à cette production pour donner pleinement vie au propos au-delà d’un "réalisme" de surface, c’est à dire une véritable approche dramaturgique de l’argument qui contribuerait à faire une véritable pièce de théâtre de ce qui reste au final un patchwork de numéros plus ou moins amusants et brillants. Regrettons aussi que l’éditeur de la vidéo n’ait pas pris la peine d’identifier les airs d’insertion de cette version qui, à moins de connaître les 75 opéras de Donizetti, resteront anonymes pour le mélomane moyen.

 

Alfred Caron