Javier Camarena (Gualtiero), Marina Rebeka (Imogène), Franco Vassallo (Ernesto), Antonio Di Matteo (Goffredo), Sonia Fortunato (Adèle), Gustavo De Gennaro (Itulbo). Orchestre et Chœur du Teatro Massimo Bellini de Catane dir. Fabrizio Maria Carminati.
Prima Classics Prima 010 (3 CD). Distr. SocaDisc.

La discographie officielle du Pirate bellinien s’est longtemps contentée de versions tronquées, amputées de cabalettes à variations, chœurs et récitatifs divers, comme du final tragique première manière. Ces élagages de la partition s’apparentaient à une véritable déforestation. De ce qu’il en demeurait, Maria Callas ressuscitait en 1958 à la Scala puis en 59 lors d’un concert new-yorkais, les redoutables défis vocaux et dramatiques, avant que Montserrat Caballe ne s’empare du rôle d’Imogène qu’elle eut, seule alors, le privilège d’enregistrer en studio. Leurs prestations continuent de l’emporter sur l’ensemble d’un panel assez modeste et quelles que soient les coupures qui les entachent, sans parler des faiblesses des partenaires masculins de ces divas. L’une et l’autre incarnaient, au sens littéral du terme, une héroïne sous l’empire de la passion funeste, avec une véhémence de soprano dramatique d’agilité (pléonasme à l’époque de Bellini) et d’ineffables abandons romantiques. La scène de la folie Col sorriso d’innocenza, archétype du genre, leur offrait à la fin de l’ouvrage l’occasion de sublimer une ineffable cantilène extatique avant un chant de sidérante agilité. On imagine que la très wagnérienne Schröder-Devrient, chanteuse actrice d’un redoutable potentiel expressif et Norma de haut vol, avait avant elles donné le la d’un tel engagement.

Reste que notre époque friande de versions originales et d’éditions critiques a depuis peu opté pour le respect in extenso de l’œuvre princeps. C’était le cas de l’intégrale réalisée en 2012 sous la baguette de David Parry, chez Opera Rara, déjà en 3 disques et près de deux heures trois quarts d’enregistrement, mais hélas grevée par les insuffisances des interprètes, hormis l’Ernesto de Ludovic Tézier. C’est encore vrai de celle que nous propose aujourd’hui Prima Classic, avec a contrario un plateau nettement plus en situation. Marina Rebeka en est la prima donna assoluta, sous le label dont est l’initiatrice. Par bonheur délivrée des excès histrioniques vocaux et gestuels que lui imposait Willy Decker, metteur en scène de sa Traviata plus dévoyée que nature, au Met en 2014, la chanteuse lettone instruite des répertoires rossinien et mozartien affronte crânement les écueils considérables de son emploi. Sans prétendre brûler d’un feu aussi intense et sombre que celui de ses illustres devancières, l’artiste projette insolemment ses aigus forte imparables, couronnant d’excellente manière les volutes d’une vocalisation sans failles, sinon celles que trahit parfois un timbre çà et là trop pointu. Ainsi par exemple de l’agitato qui la confronte au premier acte à son ténor d’amant, ou du trio du II. La scène ultime d’égarement qui voit l’infortunée perdre la raison à l’annonce de la mort de ce dernier est au contraire portée par un bas medium d’une constante plénitude, garant de fulgurants sauts d’octaves. La péroraison du célèbre Oh! Sole ti vela impressionne.

Cet aplomb avait tendu d’emblée à s’imposer aux dépens du ténor mexicain Javier Camarena, le pirate redouté déboulant contre-ré en poupe mais étroit d’épaules et de timbre. Comparé à ce timbre, celui de Florez serait presque barytonal. Créateur de Gualtiero en 1827 le mythique Rubini, n’était-il pas appelé à être le premier Arturo des Puritains et à l’occasion Pollione de Norma à Paris ? La suite de la présente captation et notamment cette ardente, Furor della tempesta, puis les duos et arie à venir, s’étoffent davantage, sans que ce chanteur crypto rossinien n’impose à ce jour une vraie carrure de ténor romantique. On s’incline néanmoins devant le parcours d’obstacles accompli.

L’infâme Ernesto trouve en Franco Vassallo un baryton frotté à Verdi comme au romantisme bellinien ou donizettien. Alternant les influx d’emportement viril et les ombres d’une passion amoureuse blessée, l’artiste milanais, peu à l’aise dans la vocalise, pondère au mieux sa morgue vocale dans le duo de l’acte II. Autour, les rôles de second plan assurent crânement, à l’image des chœurs et de l’orchestre maison, dirigés par l’expert Fabrizio Maria Carminati, leur patron. Une intégrale digne de ses prétentions.


Jean Cabourg